L’acte d’accusation contre un Internet libre

Le 20 décembre 2011

Acta dans l'Union européenne et Sopa aux États-Unis. Ces deux textes, en cours d'adoption, autorisent l'administration et les entreprises à intervenir sur Internet sans s'embarrasser de libertés publiques, sous prétexte de lutte contre le piratage des œuvres en ligne.

Le week-end dernier, l’Union européenne a ouvert la voie à l’adoption de l’Anti-conterfeinting trade agreement (Acta). De l’autre côté de l’Atlantique, les députés américains étudiaient en commission le projet de loi Stop Online Piracy Act (Sopa). Deux instruments juridiques aux finalités similaires : filtrer ou bloquer les sites soupçonnés d’encourager le piratage d’œuvres protégées par le droit d’auteur, sans intervention du juge. Traité commercial pour Acta, projet de loi pour Sopa, ces deux initiatives ont également pour point commun d’être soutenus par les industries culturelles et leurs lobbys. Et de vouloir imposer aux intermédiaires techniques (fournisseurs d’accès à Internet, gestionnaires de noms de domaine) d’agir pour bloquer les sites incriminés.

Une lutte pour la préservation du business model des industries culturelles qui se déroulent sur plusieurs champs de bataille, et sur laquelle revient David Post, professeur de droit à la Temple University de Philadephie, et spécialiste des questions du droit de la propriété intellectuelle à l’ère numérique.

Acta en voie d’adoption

Traité commercial négocié depuis plusieurs années , et d’abord sous le sceau du secret, l’Acta menace de transformer en profondeur la législation. Signé début octobre par neuf pays, dont les États-Unis, l’accord vise à renforcer la législation sur les droits d’auteur des pays signataires. Notamment en mettant en place des mécanismes de type “riposte graduée”, tels que le fait l’Hadopi en France.

Soutenu par le gouvernement français, ce traité négocié dans le plus grand secret doit bientôt passer par la ratification du Parlement européen. Pour David Post, Acta et Sopa participent du même processus:

Ce qui est affreux et très fatiguant dans cette bataille c’est qu’elle se déroule sur des fronts différents. Le simple fait d’essayer de se tenir au courant de tout cela prend un temps fou. Il y a tellement de lois, de décret, de traités qui essayent d’attaquer Internet que l’on peut ne s’empêcher de penser que cela fait partie d’un même combat. Et Il est parfois difficile de savoir où porter l’estocade.

Acta est très problématique pour les mêmes raisons que Sopa. C’est peut-être même pire. Le Congrès n’est pas le meilleur lieu de fabrication de la loi que je connaisse, mais il y a un aspect public: il y a des auditions. C’est une mascarade, mais elles ont le mérite d’exister, et c’est un évènement qui poussent les uns et les autres à se positionner. Pour Acta, vous n’avez rien de tout cela !

Malgré l’action de certains collectifs, comme la Quadrature du Net, l’Acta n’est pas à l’ordre du jour du débat public dans les pays concernés par son adoption. Et la mobilisation des acteurs d’Internet est faible, comparée à ce que connaissent les États-Unis avec Sopa.

Sopa : les Internets mobilisés

Pour contrer l’influence des lobbys des industries culturelles, qui ont déjà dépensé plus de 91 millions de dollars en 2011, les acteurs de l’Internet américain se sont mobilisés. De l’Electronic Frontier Foundation aux géants du web (Google, Amazon, Facebook, Yahoo) qui ont acheté un espace pour exprimer leur opposition au projet dans le New York Times, la contestation est importante. Jimmy Wales, le fondateur de Wikipédia, a récemment menacé de fermer temporairement l’encyclopédie en ligne pour contester le projet de loi. Les “pères fondateurs” d’Internet (dont Vint Cerf et Dan Kaminski ont quant à eux publié une lettre ouverte dans laquelle ils dénoncent les velléités de censure du réseau. La société civile n’est pas en reste, à l’image d’initiatives comme American Censorship.

Une mobilisation historique, pour David Post :

Je suis ces questions depuis 1994 et je n’ai jamais vu une telle mobilisation. Il s’agit d’un moment essentiel de prise de conscience de l’importance d’Internet. Les ayant droits défendent leurs intérêts au Congrès et la plupart du temps, personne ne conteste. Ils veulent une augmentation de la durée de protection du droit d’auteur, ils l’obtiennent. On assiste aujourd’hui à une bataille beaucoup plus équilibrée, puisque les industries technologiques sont beaucoup plus puissantes.

Les débats entamés en commission à la Chambre des représentants ont été remis à l’année prochaine. La pression de l’opinion publique semble donc avoir joué son rôle. Pour David Post, les entreprises ne sont pas étrangères à cette mobilisation :

Si Google, Yahoo, Facebok ou Twitter, en tant qu’entreprises, disent “cette loi menace ce que nous faisons, et vous aimez ce que nous faisons”, cela peut être très efficace. Pour la première fois, on les voit s’investir dans le débat. Et le Congrès répond à l’opinion publique. Pas toujours de la meilleure manière, mais c’est possible. C’est un assez joli petit laboratoire de la politique, nous sommes à un moment très excitant, dans lequel nous allons voir quelle place peut prendre Internet dans nos sociétés”.

On remportera cette bataille si l’opinion publique comprend qu’il s’agit de sauver Internet. Les ayants droit doivent se dire qu’ils ont donné un coup de pied à un géant endormi. L’opinion comprend à présent qu’il y a les défenseurs du copyright d’un côté, et ceux d’Internet de l’autre. Et je pense que les gens vont choisir Internet.


Pour compléter, une infographie réalisée par Politico sur l’importance du lobbying aux Etats-Unis, et sur la différence à cet égard entre les entreprises d’Internet et celles représentant les industries culturelles :


Source illustrations

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