Occuper Wall Street sans Dieu, ni maître

Le 25 octobre 2011

Organisé par Internet, Occupy Wall Street dure dans l'indépendance là où d'autres ont échoué malgré leur structure. Une leçon de politique pour syndicats et partis américains, à la ramasse du mouvement.

Occupy Wall Street a commencé son deuxième mois de protestation avec un soutien qui ne faiblit pas, bien au contraire. Ce mouvement sans mégaphone a fini par recevoir l’appui de bon nombre d’ONG et de syndicats qui se sont ralliés au mouvement. Mais les indignés américains tiennent pourtant à rester indépendants, et pas seulement politiquement.

Sans l’argent de Soros, sans la logistique des syndicats

C’est souvent par le biais de plusieurs emails d’organisations diverses que les sympathisants ou curieux reçoivent des informations sur Occupy Wall Street. Dans une newsletter de l’organisation MoveOn.org, on pouvait lire:

Au risque de prononcer une évidence, ces occupations ne sont pas organisées par MoveOn.[...] mais tout le monde doit mettre du sien et aider.

La semaine dernière, c’est un des deux plus grands syndicats américains,AFL-CIO, qui a apporté son soutien au mouvement. Mais les acteurs de la vie associative et politique américaine semblent avoir été pris de court. « Ce mouvement a été mis en place en dehors des partis politiques, des ONG et des syndicats, et ça les a pris par surprise », explique Andrew Sabl, professeur associé de politiques publiques et sciences politiques à l’université de UCLA.

Certains supposaient sans fondement que George Soros et son Open Society Institute étaient derrière le mouvement. En réalité, c’est une fondation et un magazine anticonsumériste et artistique canadien,Adbusters qui en sont l’origine.

« Depuis 1968, je rêvais qu’un mouvement global puisse avoir lieu. Après la Tunisie et l’Egypte, je me suis dit qu’un Tahrir américain était possible, explique Kalle Lasn, rédacteur en chef d’Adbusters. Nous avons juste eu l’idée d’occuper le coeur du capitalisme, Wall Street, puis nous avons appelé ça « Occupy Wall Street », nous avons créé le poster qui a lancé l’appel, choisi la date du 17 septembre, et c’était parti. »

C’est grâce à Twitter et à son fameux hashtag #OccupyWallStreet, ainsi qu’au soutien d’Anonymous, le groupe de désobéissance civile sur internet, que les choses se sont enchaînées. « Après, ce sont les gens sur le terrain qui ont tout organisé et ramené du monde. Le mouvement a pris, et nous sommes passés dans les coulisses », commente Kalle Lasn.
Ce n’est que bien plus tard qu’ONG, syndicats et groupes politiques se sont ralliés au mouvement. Les soutiens se font d’ailleurs dans les deux sens. Le 23 septembre 2011, des membres d’Occupy Wall Street ont interrompu les enchères chez Sotherby’s, par solidarité avec le syndicat Teamsters Local 184 alors en pleine dispute salariale avec la salle des ventes.

« Un compliment et une leçon politique » pour les ONG

Le 5 octobre, John Samuelsen, président de TWU Local 100, un syndicat qui représente les métiers du transport à New York, s’est ainsi exprimé dans l’émission Countdown:

Les gens de Wall Street ont fourni l’étincelle à la main-d’oeuvre syndiquée. [...] Avec nous c’était toujours la même vieille chanson: parler aux hommes politiques dans les couloirs à Albany ou à Washington D.C. Ça n’a tout simplement pas marché pour les travailleurs. Alors que descendre dans la rue [...], ça marche.

Pour certains comme Bill Dobbs, membre du comité relations publiques d’Occupy Wall Street, porte-parole de l’ONG United for Peace and Justice et activiste de longue date:

C’est un compliment et une leçon politique. Cela montre que les ONG ou les syndicats peuvent être corrompus par les politiciens. Nous avons sonné l’alarme et les gens ont commencé à écouter. Le slogan ‘We are the 99%’ (ndlr: nous sommes les 99%) fait maintenant partie de l’imaginaire collectif.

Mais c’est surtout l’indépendance du mouvement qui semble être son point fort. Pour l’expliquer, Bill Dobbs fait le parallèle entre les ONG actives dans la lutte contre le SIDA dans les années 80, et dont il faisait partie au sein d’Act Up.

Beaucoup d’ONG avait été mises en place pour faire face au SIDA. Elles ont fait un travail incroyable mais le traitait comme un simple problème médical, justement parce qu’elles avaient peur de perdre leurs financements et avaient donc peur des dimensions politiques plus larges du problème. Elles ne remettaient pas en cause le système. C’est là que l’activisme, le volontariat ont commencé à se mettre en place, en 1987. Les quatre vérités ont enfin été dites. C’est la même chose avec Occupy Wall Street. Avant tout, ce sont des bénévoles, et c’est ça qui fait la différence.

Mais la question qui taraude tout le monde est de savoir comment un tel mouvement peut faire valoir ses revendications sans porte-parole ni demandes précises.

Pour Andrew Sadl, ce type de mouvement aurait par le passé eu besoin du soutien d’organisations, de syndicats ou de groupes religieux. « A l’âge d’internet, les questions d’infrastructure, de financement, de participation et de distribution de l’information n’ont pas autant besoin d’être institutionnalisées », explique-t-il. « Quant à négocier avec le gouvernement, on ne voit plus un grand syndicaliste serrer la main du Président pour sceller la résolution d’un conflit comme par le passé. Il n’y a pas forcément besoin de quelqu’un pour négocier au sommet », rajoute-t-il.

L’AG pour seul tête… mais jusqu’à quand ?

Le Tea Party, qui refuse d’avoir de porte-parole, a par exemple beaucoup de poids dans la politique américaine. « Mais leur influence vient du fait qu’ils réussissent à faire peur aux hommes politiques », commente Andrew Sadl pour qui l’allergie d’Occupy Wall Street aux politiques électorales finira par freiner les indignés.

En effet, accepter de rentrer dans le jeu électoral demeure un grand moyen de pression et de négociation aux Etats-Unis. Les grands partis dépendent des groupes, associations, syndicats, et petits partis pour leur campagne, que ce soit en termes de réseau, de main d’œuvre ou de financement. Les difficultés rencontrées par les Républicains et les Démocrates, respectivement dans l’Utah et l’Arkansas, lors des dernières élections législatives ont montré qu’une perte de soutien au niveau de ces groupes pouvait faire basculer leurs campagnes.

Pour le moment, les seuls liens officiels qu’Occupy Wall Street entretient avec d’autres ONG sont d’ordre pratique. Alliance for Global Justice, une organisation qui vise à atteindre plus de justice par le biais d’un mouvement de base internationalisé, s’occupe de reverser aux indignés les dons que ceux-ci ne peuvent pas encore recevoir directement. Les indignés ne disposent pas encore de statut fiscal et juridique leur permettant de récolter de l’argent. Se décider à remédier à ce problème pourrait aussi symboliquement leur servir à se définir.

L’affiliation avec les syndicats et les organisations pourrait comporter un risque de reprise du mouvement. Dans l’émission Countdown, John Samuelsen affirmait ainsi que les syndicats étaient le pendant des indignés (la « force » des premiers complétant « l’enthousiasme » des derniers), en fournissant les ressources dont le mouvement ne dispose pas.

Les indignés sont cependant déterminés à rester sans leadership – en tous cas autre que celui des assemblées générales organisées chaque jour – et encore moins à lâcher les rênes du mouvement à des organisations plus institutionnalisées. Pour Kalle Lasn, c’est sans appel: « ce serait le baiser de Judas! Ce serait un coup fatal si on s’acoquinait avec les syndicats, voire avec les groupes démocrates, car ce serait se lier avec une structure de pouvoir existante. Nous devons rester indépendants si on veut restructurer un système politique corrompu. »

D’autres, comme Andrew Sadl, sont plus prudents : « je pense qu’Occupy Wall Street va finir par une scission, comme ça a été le cas avec le parti vert en Allemagne au tout début. Une partie restera autonome, sans demande formelle ou codifiée, et l’autre sera plus pragmatique et acceptera de rejoindre des groupes progressistes. Je pense que le choix se fera au moment des élections de 2012. Il faudra choisir de s’impliquer, ou pas. »


Article publié à l’origine sur le site Youphil sous le titre Occupy Wall Street, la révolte sans leader.

Retrouvez le dossier d’OWNI Occuper Wall Street et son esprit et tous les articles consacrés à ce mouvement sur notre site.

Illustrations et Photos via Flickr par Paternité david_shankbone ; PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales waywuwei.

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