“Le ciel dans la tête”: petites histoires de l’astronomie

Le 19 mai 2011

Une nouvelle histoire de l'astronomie alors qu'il y en a déjà tant ? Oui, mais celle-ci démonte les idées reçues et la mythologie qui s'est imposée dans notre vision de l'avancée des connaissances.

L’ouvrage de M. Giraud-Ruby est difficile à classer. Dans son genre, c’est un monument. Ses 544 pages couvrent toute l’histoire de l’astronomie, depuis la préhistoire et l’Antiquité jusqu’à nos jours. Mais ce n’est pas une encyclopédie. On y cherchera en vain les grands chapitres classiques qui jalonnent les ouvrages historiques classiques, les événements importants et les “ères” consacrées : celles de Ptolémée, de Copernic, de Galilée, de Newton, d’Einstein ou de Hubble. Non que l’auteur les ignore, bien entendu, mais son exposition est toute autre : thématique et non historique dans sa structure générale, anecdotique et jamais hagiographique dans sa présentation des hommes et des événements qui ont fait la science.

Anecdotique, avons-nous dit, mais il ne faut surtout pas y voir là une nuance négative ! Car les anecdotes, souvent croustillantes, participent grandement au plaisir immense de la lecture. Jamais hagiographiques, avons-nous ajouté, car l’auteur se garde d’élever des statues aux grandes figures de l’histoire astronomique mondiale. Les acteurs de cette histoire sont replacés dans leur humaine condition, et éclairés de façon à faire sortir leur part d’ombre (l’intérêt de nombreux astronomes pour l’astrologie) ou de pénombre (les frasques sexuelles de Halley, les querelles d’intérêt, la vanité, les coups bas…). D’autres, habituellement ignorés, sont mis en lumière : comme Edgar Poe (les assidus ne feront pas une grande découverte en lisant qu’il fut cosmologiste amateur, et proposa le premier une interprétation hardie du paradoxe d’Olbers1 ).

Signe des temps, du désenchantement du monde, de la perte des modèles humains ? Peut-être, mais sans la moindre nuance de tristesse, d’amertume ou de rancÅ“ur. Les protagonistes nous apparaissent plus vivants, plus sympathiques, plus proches de nous enfin, que dans bien d’autres ouvrages.2

Des livres dans le livre

L’ouvrage s’articule en quatre grands thèmes : définitions du temps et de l’espace ; l’inépuisable curiosité pour l’univers des étoiles ; les remous idéologiques autour des planètes ; la popularité des mythes cosmologiques. Chaque thème est l’occasion d’un « livre », largement indépendant des autres, qui retrace l’histoire de l’astronomie, plus ou moins chronologiquement. Les mêmes événements sont ainsi visités plusieurs fois, avec des points de vue différents.
La première partie met particulièrement bien en valeur la dette dont l’astronomie est redevable au commerce, à la guerre et à la politique, à travers la marine. Car, pour pouvoir naviguer efficacement, il faut pouvoir déterminer la longitude. Or il faut, pour cela, connaître l’heure exacte. Problème : les meilleures déterminations, à long terme, de l’heure sont basées sur les méthodes astronomiques, qui à leur tour nécessitent de connaître la longitude. On n’en sort pas, à tel point que “la détermination de la longitude” devient un temps synonyme de “la quadrature du cercle” : un problème insoluble auquel seuls les fous peuvent prétendre s’attaquer. Pourtant, le problème finit par devenir urgent : des navires sombrent après des erreurs d’estimation de longitude… et quand il s’agit de navires militaires, les politiques finissent par débloquer les crédits pour la recherche !

À côté des travaux de perfectionnement des chronomètres, des méthodes astronomiques se mettent en place, basées sur des tables précises des éclipses des satellites de Jupiter. Pour l’anecdote, lorsque Cassini présenta à Louis XIV le nouveau tracé de la carte de France, plus précise mais rétrécie, celui-ci fit remarquer à Colbert : “Vos astronomes ont fait perdre plus de territoire plus que nos généraux n’en ont conquis.” Ainsi, des considérations militaro-politiques débloquent souvent les crédits qui font avancer la connaissance “pure”. Faire le lien entre science et politique, société, religion, mysticisme, gloriole, guerre et espionnage, est un souci constant de l’auteur. L’une de ses thèses est d’ailleurs la suivante : la connaissance pure est une retombée indirecte des motivations “impures”, et non le contraire comme on se plaît parfois à le croire.

La deuxième partie est consacrée aux “mordus” de l’astronomie, ceux qui, poussés par leur passion, consacrent leur vie à la science, quand bien même ils devraient polir à la main des miroirs de 2,5 mètres, au millionième de millimètre près, et les faire monter à dos de mules par des sentiers montagneux d’une étroitesse effrayante.

Des modèles planétaires pour les horoscopes

Dans la troisième partie (les remous idéologiques autour des planètes), nous retrouvons les modèles planétaires, de l’antiquité à Copernic ; ils sont expliqués de manière bien plus précise que ce qu’il est possible de lire habituellement3 . On comprend notamment pourquoi les anciens modèles fonctionnaient si bien et, surtout, dans quel but : c’était notamment pour pouvoir établir des horoscopes précis ! Jusqu’à Kepler, c’est le but des tables de position des planètes. Et parfois, les découvertes tiennent à peu de choses : Tycho Brahe n’a pu accomplir son formidable travail que parce qu’il avait d’importants fonds, généreusement alloués par le roi Frédéric II de Danemark (le père de Tycho s’étant sacrifié pour sauver son roi de la noyade). Johannes Kepler, dont les motivations étaient profondément mystiques, n’a pu achever son Å“uvre que grâce à la mort prématurée de Tycho Brahe ; encore la chance était-elle de son côté : deux erreurs de calcul se sont miraculeusement compensées…

De la recherche rigoureuse des nouvelles planètes (Uranus, Neptune) aux phantasmes sur les canaux de Mars, des sondes planétaires aux astéroïdes tueurs (dont on a fini par comprendre l’importance dans l’histoire géologique de la Terre), l’auteur réexplique, à sa façon toujours originale, les grands débats qui ont échauffé les esprits. Il ne se prive pas d’ailleurs d’y ajouter, çà et là, ses propres thèses4 , fondées sur ses connaissances en physique, en astronomie, et en géophysique. Et, parfois, défonce gentiment le décor érigé par la tradition. Ainsi, les cosmologistes modernes, dont le goût pour les outils mathématiques agace l’auteur5 , sont comparés à des coqs de village pérorant en rêve de gloire… et sont renvoyés dos à dos au mysticisme de Kepler. La mythologie qui s’est construite autour du Big Bang, des équations d’Einstein, de la théorie des cordes, des Théories du Tout, en prend pour son grade. On se fera l’opinion que l’on voudra sur les idées personnelles de l’auteur6 ; mais on sortira convaincu que les coups de pieds (intellectuels) sont toujours bons à prendre.

Titre du livre : Le ciel dans la tête
Auteur : Alain Giraud-Ruby
Éditeur : Actes Sud
Date de publication : 02/05/10
N° ISBN : 2742791205


Article initialement publié sur NonFiction sous le titre “Une lecture nouvelle et décapante de l’histoire de l’astronomie”.

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  1. Un raisonnement bien fondé montre que, dans un univers statique et infini, le fond du ciel nocturne devrait être, non pas noir, mais aussi brillant que le Soleil. []
  2. À moins de se tourner vers les remarquables romans de Jean-Pierre Luminet, ou encore vers Les somnambules d’Arthur KÅ“stler ; mais ce sont des romans et il est attendu qu’ils rendent proches (sinon sympathiques) leurs personnages. []
  3. À l’exception notable d’un excellent ouvrage : La Terre, des mythes au savoir, d’Hubert Krivine, sorti récemment chez Cassini. []
  4. Voire d’intéressantes thèses d’autres auteurs, comme le fait que, peut-être, Tycho Brahe aurait été empoisonné au mercure par Kepler lui-même… []
  5. L’auteur juge utiles ces outils, mais n’admet pas que les outils, non seulement tiennent le devant de la scène, mais soient en fait la seule chose qui reste sur la scène []
  6. J’ai Personnellement, j’ai parfois été un rien agacé par certains passages… mais presque toujours convaincu à la seconde lecture, après avoir laissé le temps faire son Å“uvre. []

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