Fortune des dictateurs: au tour de Ben Ali et Kadhafi

Le 18 avril 2011

Avec les révolutions arabes, la liste des biens mal acquis des dictateurs s'allonge. Le départ de Ben Ali et la chute programmée de Kadhafi pourraient rouvrir le dossier et accélérer les enquêtes. OWNI fait le point avec une carte interactive.

Près de 200. C’est le nombre de biens mal acquis de cinq despotes africains que nous avons identifiés et listés sur notre carte consacrée au trésor des dictateurs. L’association Sherpa, qui “protège les populations victimes de crimes économiques”, avait déjà largement documenté les avoirs dans l’Hexagone de feu Omar Bongo (président du Gabon), Denis Sassou N’guesso (président du Congo-Brazzaville) et Théodore Obiang (président de la Guinée-Equatoriale). Une bonne partie de leur patrimoine avait été consignée dans des listings, pour un montant total évalué à 35 millions d’euros, que nous avons regroupé sous trois catégories:

  • Voitures de luxe et biens de consommation
  • Hôtels particuliers et biens immobiliers
  • Comptes en banque disséminés à travers le monde

A la faveur des révolutions arabes, de nouveaux noms font leur apparition dans ce club fermé des fortunes mal acquises. Parmi eux, Zine el-Abidine Ben Ali, le président tunisien déchu, et Mouammar Kadhafi, le dictateur atrabilaire s’accrochant à sa chaire de Guide de la Révolution.

Les révolutions pourraient relancer des procédures enterrées

Aux plaintes déposées devant la justice par les ONG Sherpa et Transparence International en 2008, les gouvernements incriminés avaient riposté par la voie de recours judiciaire, avec un certain succès. En avril 2009, le Tribunal de grande instance de Paris s’était opposé à l’ouverture d’une enquête, et il avait fallu une décision de la Cour de cassation en novembre 2010 pour casser ce premier avis.

Finalement, les soulèvements populaires récents pourraient bien relancer des procédures fastidieuses. Après avoir multiplié les déplacements de l’autre côté de la Méditerranée ces dernières semaines, l’avocat William Bourdon et Sherpa espèrent beaucoup de la justice française: dans les affaires de corruption d’agents publics, définies par la convention OCDE de 1997, il n’y a pas de partie civile, et le parquet a le monopole de l’instruction. Parquet qui dépend directement du ministère de la Justice…

Le défi Kadhafi

Ainsi, le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, a été saisi pour identifier les biens des clans Ben Ali-Trabelsi et Kadhafi. Dans un courrier adressé le 7 mars 2011, Me William Bourdon et Daniel Lebègue (président de Transparence International) réclament “l’ouverture d’informations judiciaires, ce dernier cadre procédural [leur] paraissant mieux adapté à la complexité et au caractère international des infractions dénoncées.” Sherpa s’est également positionnée sur le cas du président égyptien Hosni Moubarak, même si l’essentiel de ses avoirs a été placé ailleurs en Europe, et notamment au Royaume-Uni. La City de Londres reste l’un des principaux havres de paix des chefs d’Etat kleptomanes.

Le 1er avril, c’est Michel Maes, Vice-Procureur de la République adjoint en charge des relations avec les commissaires aux comptes qui a reçu un courrier signé des deux associations. Dans celui-ci, elles demandent aux autorités françaises de s’aligner sur les décisions de gel votées en Tunisie, et réclament une vigilance particulière vis-à-vis des avoirs du colonel Kadhafi:

Il nous paraît important que vos recherches ne se limitent pas aux seules personnes physiques visées par la plainte mais soient étendues aux avoirs que pourraient détenir les fonds d’investissement libyens ainsi que la Banque Centrale de Libye sur le sol français. Dirigées par des proches du cercle Kadhafi ; ces différentes institutions sont réputées pour servir de réserve personnelle au clan.

Cliquer sur la carte pour naviguer dans l’application

D’après les estimations du Figaro, la seule Libyan Investment Authority (LIA), le premier fonds souverain libyen, gérerait 50 millions de dollars (la manne pétrolière, notamment), la moitié d’une fortune totale évaluée à 100 millions d’euros. Le défi, dans le cas du despote libyen? Remonter le fil de transactions rarement effectuées en son nom propre. “Concernant Ben Ali, on commence à avoir une idée précise de son patrimoine immobilier”, se réjouit Daniel Lebègue.

“Pour Kadhafi, c’est plus compliqué. Beaucoup d’investissements ont été faits par le biais de structures étatiques, sur lesquelles il exerce un contrôle absolu. Il a placé de l’argent dans de nombreuses places financières, aussi bien à la City de Londres que dans les pays du Golfe.”

Témoignages anonymes

Tandis que les premières informations précises affleurent, le travail de recension continue. Dans les premiers mémos de Sherpa, un large chapitre est consacré aux “sources d’information non confirmées”. On y découvre que le clan Ben Ali-Trabelsi a ses particularismes. Là où les familles Bongo et N’guesso ont acheté des appartements en leur nom, avec des oncles, des frères ou des nièces (quoi de plus logique, puisque les deux familles sont liées), les Tunisiens auraient fait beaucoup d’acquisitions par le truchement de sociétés civiles immobilières.

Et déjà, les langues se délient. C’est le second enseignement de ces documents. Trois mois seulement après le départ précipité de Ben Ali, les émoignages anonymes se multiplient, comme si des vocations de whistleblowers (lanceurs d’alerte, NDLR) étaient nées dans la transition démocratique. Coups de téléphone, riverains bavards, nombreux sont ceux qui se manifestent pour identifier les biens. Une manière comme une autre de solder un héritage plus que jamais coûteux.

Retrouvez l’intégralité des données ci-dessous (n’hésitez pas à nous fournir de nouvelles informations via le formulaire “Contribuez” de l’application):

Un immense merci à Jerôme Alexandre pour le développement et à Marion Boucharlat pour le design.


Crédits photo: Intertitres, Mykl Roventine

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