Nucléaire: le nuage de la peur

Le 23 mars 2011

Première chronique de Marc Dugain. L'écrivain, metteur en scène et cinéaste se penche sur les mécanismes de la peur activés dans le sillage de la catastrophe nucléaire au Japon.

Un quotidien gratuit titrait hier matin :

Le nuage de la peur.

Ce nuage, on l’a compris, c’est le nuage qui vient du Japon chargé d’éléments radioactifs. La peur se vend bien, médiatiquement aussi bien que politiquement. Mieux que le compassionnel.

En politique on commence par faire peur pour rassurer ensuite. Enfin, essayer de rassurer. On l’a vu sur l’insécurité, on fait campagne sur le thème en inquiétant l’électeur. Mais si une fois élu, on ne parvient pas à le rassurer, on se retrouve avec un gros transfert de voix sur l’extrême droite. Dans les médias, la peur est à ce jour une des meilleures accroches possibles car la peur et le besoin de savoir sont indissolublement liés.

Pas de peurs sans experts

Revenons à ce fameux nuage. Pour les experts, il est ridiculement peu dangereux, sauf s’il comporte de l’uranium, auquel cas un cancer broncho-pulmonaire pourrait se déclarer en quelques semaines chez toute personne ayant inhalé quelques molécules même infimes de ce nuage. Pas de peurs sans experts. Les experts sont largement employés par les médias pour pallier leur ignorance légitime dans des domaines très pointus, et le nucléaire en est un. Mais ils ont une autre fonction qui est de maintenir le suspens en entretenant leur notoriété personnelle et des polémiques sans fin. Au final, le consommateur de médias ne sait ni ce qu’il risque, ni comment s’en protéger.

Sauf quand ils cherchent à inquiéter à des fins électorales, les politiques ont intérêt à être rassurants. Et rassurants ils le sont, comme ils l’ont été au moment de l’explosion de la centrale de Tchernobyl, c’est-à-dire sans la moindre crédibilité. Si l’explosion nippone doit avoir des conséquences sur notre santé, cela ne sera globalement pas avant quelques années, et dans le temps politique, quelques années c’est très loin. Alors que reconnaître dès aujourd’hui que la population qu’ils sont censés materner est touchée, cela pourrait être grave pour 2012.

Se volatiliser comme les grands reptiliens ?

Sans parler de l’énorme intérêt représenté par le nucléaire, en particulier en France. Les défenseurs du nucléaire ont pris un peu de plomb dans l’aile ces dernières semaines. Heureusement pour eux, le soulèvement des pays arabes et ses conséquences sur le prix du baril de pétrole ont permis de montrer s’il en était encore besoin, que les énergies fossiles n’ont plus d’avenir politique. Mais finalement la seule vraie question qui tienne la distance c’est de savoir si pour accompagner un mode de développement résolument matérialiste, nous allons devoir continuer à développer des systèmes de production d’énergie qui peuvent potentiellement nous faire disparaître comme espèce.

La probabilité de se volatiliser d’une explosion nucléaire est aussi faible que celle qu’ont connu les grands reptiliens de s’éteindre à cause d’une explosion volcanique ou d’une chute de météorite. Et pourtant c’est ce qui leur est arrivé. Quel dommage ce serait de perdre l’être humain, la seule espèce pensante connue dans l’univers. Mais qui ne pense pas assez pour transformer en énergie pacifique et renouvelable, un formidable sens de l’intérêt qui ne s’épuise pas avec les siècles, ni sa capacité à faire surgir d’énormes contradictions, qui, recyclées, pourraient produire un combustible inépuisable.

Crédits Photo FlickR CC : nicholas_t / Binuri Ranasinghe

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