De la cyber-archéologie et de GeoCities

Le 3 novembre 2010

Retour sur la fermeture de GeoCities, l'un des premiers hébergeurs du web, à l'occasion de la mise à disposition de l'intégralité des sites hébergés par le service.

Le 26 octobre 2010, un an après la fermeture définitive, Jason Scott annonce que son armada de serveurs a réussi à sauvegarder un bon nombre de sites et propose l’intégralité de GeoCities (ou presque) sous la forme d’un torrent. L’occasion de revenir (en vous proposant un billet publié il y a an) sur la fermeture de ce service, contenant une foultitude de contenu créé par l’utilisateur et surtout contenant une grosse partie de la culture Internet avant l’arrivée de tout le monde.

Yahoo! n’a pas beaucoup communiqué sur cet évènement, c’est le moins qu’on puisse dire, puisque même les premiers concernés n’étaient pas au courant. “Je suis étonné de ne pas avoir reçu de message de Yahoo-Geocities me prévenant de l’arrêt” s’inquiète ainsi un ancien utilisateur qui a tout de même eu le temps d’aspirer le contenu de son site avant la fermeture. GeoCities l’annonce laconiquement sur sa page d’accueil, GEOCITIES IS CLOSING ON OCTOBER 26, 2009. GeoCities, ouvert en 1994, était un hébergeur gratuit. En échange de quelques publicités, l’utilisateur pouvait proposer un site de bonne qualité pour l’époque.

GeoCities restait depuis une référence sur Internet pour ses design affreux, ses gif animés et la pauvre qualité de son code html.

L’organisation de GeoCities était très originale puisque les sites étaient organisés en villes, puis en quartier. Chaque ville correspondait à une thématique. Un utilisateur, dont le site était finalement très généraliste témoigne :

J’avais choisi CapCanaveral parce que je suis passionné d’astronomie, ce qui constituait une partie assez fréquentée de mon site

CapCanaveral, quartier des sciences, mathématiques et de l’aviation côtoyait ainsi Paris, pour les arts, Broadway, Hollywood ou encore Area51 pour la science-fiction.

Pour chaque quartier existait un Community Center, lieu où les possesseurs des sites du quartier pouvaient s’organiser entre eux. Sites du mois, conseils sur le HTML, signalement des sites ne correspondant pas à la thématique ou contrevenant aux bonnes moeurs. Une vraie organisation de quartier à l’américaine.

GeoCities semblait clairement répondre à un besoin puisque très vite après l’ouverture, en juin 1995, des quartiers s’y créent avec des thématiques particulières et forcément militantes à cette époque. WestHollywood, du nom du plus grand “gay village” des États-Unis, quartier de la communauté LGBT, est par exemple un des premiers à apparaître. Sur son ancien site, Let It Bi, sur la bisexualité, le webmestre expliquait :

j’avais choisi GeoCities parce que c’était un hébergeur communautaire, basé sur la notion de quartier

Plus généralement, dès qu’on offre un espace de liberté, de free-speech, les gens s’y engouffrent, pressés d’y faire entendre leur voix.

GeoCities est donc un immense espace où s’expriment de nombreuses personnes. Bien sûr, la possibilité d’expression est limitée, puisqu’il fallait à l’époque posséder un ordinateur ainsi que des rudiments en html, Yahoo ayant dès son rachat interdit le php et autres technologies “avancées” sur GeoCities. Rapellons enfin que ces sites, au départ, existaient dans un monde sans Google. Éric Dupin proposait ainsi ses petits cailloux, “des conseils et des sélections de sites intéressants” pour, entre autres “aider les internautes, population alors novice, à bien naviguer“.

La fermeture des serveurs de GeoCities pose cependant une question importante, celle de la sauvegarde des données. Alors qu’un livre se caractérise par un tirage matériel plus qu’unique, un site Internet, surtout ceux-ci, fait par des “noobs” n’est présent que sur un serveur. Et Yahoo! n’a communiqué que par mail, sans vérifier que les mails soient bien reçus. Tout porte à croire que de nombreuses pages de personnes décédées, ou de personnes ayant simplement changé d’adresses e-mail ont disparu avec la fermeture des sites. Et se perd ainsi tout un aspect de la culture Internet. Alors que l’archéologie matérielle ne requiert qu’un peu de travail de recherche, l’archéologie sur Internet nécessite de conserver sur des serveurs les pages avant que celles-ci ne disparaissent.

Depuis 1996, archive.org conserve de nombreuses pages Internet, perdant cependant parfois au passage les images qui faisaient la joie de ces pages personnelles. Celles dont Éric Dupin disait que “c’était de l’artisanat“. Il témoigne:

Cela peut évidemment sembler ridicule aujourd’hui. Mais j’étais très fier quand je réussissais à produire de mes blanches mains un gif animé et à l’implanter sur un site qui a parfois diablement ressemblé à un arbre de Noël !

On ne peut donc que saluer l’action de l’Archive Team, de Internet Archaeology ou encore archive.org qui ont tenté de capturer le plus grand nombre de cette immense planète qu’était GeoCities. L’Archive Team a notamment réussi, dans le cadre d’un GeoCities Project, à obtenir et à établir une liste des URL de nombreux sites de GeoCities, archive.org ne pouvant aspirer les sites qu’en ayant ceux-ci. Et Yahoo! ne voulait pas les donner, prétextant qu’il s’agissait là d’élément de la vie privée, puisque certains utilisateurs faisaient des sites qui n’étaient jamais liés ailleurs et réservés à leur famille ou au stockage. Jason Scott ne mâche pas ses mots à ce sujet. S’dressant aux dirigeants de Yahoo! il déclare :

Les gens vont être putain d’énervés quand ils verront que vous leur avez mis hors ligne leur contenu, que vous l’avez supprimé. [...] Ils voudront que vous leur rendiez leur contenu. [...] Je pourrais dire quelque chose comme “je pense que vous savez ce que vous faites”, mais je suis certain que vous aller me répondre “bla bla bla aucun profit bla bla” puis que vos yeux vont se lever et vous allez me demander d’arrêter de me plaindre

Jason Scott explique ensuite qu’il est obligé de se lancer dans l’hébergement pour proposer aux anciens utilisateurs un miroir de leur site GeoCities et qu’il ne va pas cesser de répéter à quel point les dirigeants sont d’avoir fermé ce service avant de terminer, et je partage ce cri, par “I hate you“.

>> Article initialement publié sur Alphoenix.net.misc

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