Instruire et plaire pour informer

Le 7 septembre 2010

Le webdocumentaire propose de nouvelles expériences pour explorer l'information. Plus ludiques et plus interactives, les pistes pour mettre en forme les sujets et raconter des histoires sont nombreuses et restent encore à inventer.

Catch, indépendance de l’Afrique, obésité, système carcéral américain, autant de sujets abordés ces derniers mois sous forme de webdocumentaire. Autant de possibilités différentes de raconter une histoire en inventant les nouveaux codes de ce dispositif d’information en ligne à la fois support, format, outil, genre et média. Une liberté créatrice qui suscite un véritable engouement auprès des journalistes, des producteurs, des diffuseurs et des internautes. Quelles sont donc les réelles nouveautés apportées par le webdocumentaire en matière de traitement de l’information ?

Dans la peau du journaliste

Le nouveau joujou du web ? Au regard des différents webdocumentaires étudiés, il est certain qu’ils misent sur le ludisme et le didactisme pour aborder des sujets parfois très sombres. Ce parti pris découle du potentiel d’innovations qu’offre le web comme le souligne Dominique Wolton :

Internet, après la télévision et la radio en leur temps, relance un imaginaire, une recherche de styles et de formes qui expriment la modernité. Ces techniques sont à la fois les véhicules des autres formes de culture et des lieux de création de la culture contemporaine.

Sans chercher à infantiliser le lecteur/téléspectateur/auditeur/internaute, le webdoc rappelle les CD-rom ludo-éducatifs proposés aux enfants et aux adolescents sur l’histoire des civilisations anciennes par exemple. Nous retrouvons aussi dans cette nouvelle démarche journalistique un héritage de la rhétorique antique du docere (instruire) et placere (plaire).

Séduire, divertir le public en ligne repose, entre autres, sur l’attention particulière portée à la navigation de l’utilisateur à la manière des jeux vidéo ou des livres dont on est le héros. Des références qui ont nourri l’univers créatif de nombreux trentenaires actuellement web designers chargés de réaliser la conception des interfaces web au travers de la charte graphique, de l’arborescence et de la navigation.

Dans Voyage au bout du charbon, l’internaute se retrouve ainsi acteur, ou plutôt personnage, dès le début du récit grâce à un procédé d’identification instauré par cette adresse directe qui lui est faite : « Vous êtes journaliste indépendant. Vous avez décidé de mener une grande enquête en Chine sur les conditions de travail des ouvriers qui chaque jour recommencent le “miracle chinois”.» Un choix que l’auteur Samuel Bollendorff, a fait avec précaution pour garder ses distances avec le jeu et donc la fiction:

Je voulais bien travailler avec ce registre un peu ludique propre au jeu vidéo mais en même temps il ne fallait pas que ce soit un jeu. Du coup, on pouvait dire à l’internaute qu’il était à la place du journaliste, ma place. Pour lui donner un statut, il n’y avait pas plusieurs possibilités. On ne pouvait pas dire à l’internaute « vous êtes le spectateur » car cela recréait une distance. Il fallait le faire rentrer dedans mais sans discréditer le projet et tout en respectant le sujet abordé.

Le procédé d’identification est encore plus fort dans Thanatorama sous-titré : « Une aventure dont vous êtes le héros mort ». Tout est dit. L’internaute vit au travers du webdocumentaire le parcours de son corps après sa mort. Tout au long du récit, le narrateur s’adresse directement à l’internaute pour lui raconter ce qui lui arrive comme lors de l’exhumation : « Pour vous le temps s’est arrêté, mais là-haut à la surface les choses changent […] On s’active autour de votre sépulture. Il y a déjà plus de deux ans que votre tombe est considérée comme abandonnée. » En adoptant la forme du jeu vidéo, la frontière entre réalité et fiction est parfois moins marquée comme nous le démontrerons ensuite dans notre étude.

Dans d’autres webdocumentaires, la forme de récit choisie n’implique pas une telle projection de l’internaute dans l’histoire. Cependant, c’est toujours à lui de suivre son propre parcours informatif comme nous l’étudierons plus loin. Cette créativité sert une information qui apparaît alors beaucoup plus à la portée de tous les publics car chacun est happé par l’histoire qui lui est proposée.

Capter un public qui s’informe surtout sur le web

Pour s’adresser efficacement à ce « lecteur / auditeur / téléspectateur / internaute », les journalistes doivent remettre en cause certaines conceptions traditionnelles de l’information, faire évoluer leurs pratiques et créer de nouvelles relations avec leur audience.

Il apparaît donc inévitable de devoir plaire à ce nouveau public. Rétablir une connivence avec lui tout en livrant un contenu de qualité tel que l’explique Marcel Burger :

Il faut intéresser le lecteur, il faut le capter. Cette nécessité ontologique n’est souvent même pas justifiée : elle va de soi, elle est consubstantielle à l’écriture journalistique.

Le web est le lieu idéal pour toucher un important flux de personnes. Chacun peut cependant avoir l’impression de recevoir une information individualisée grâce à un nouveau procédé de navigation dans le récit. Le public potentiel est large, en effet, avec les 35,6 millions de personnes de 11 ans et plus qui se sont connectées à Internet en mars 2010, soit 66,4% de la population selon l’Observatoire des Usages Internet de Médiamétrie.

L’influence du jeu vidéo a également tout pour plaire aux jeunes internautes plus friands du web que d’autres médias comme le constate le photojournaliste et auteur de webdocumentaire, Samuel Bollendorff :

Le Web […] permet d’intéresser les jeunes générations qui lisent peu, qui considèrent que la télé n’est pas crédible et qui vont directement chercher sur Internet.

Une enquête menée en 2007 par L’EIAA (European Interactive Advertising Association) le confirme. Les Européens de 16 à 24 ans sont 82% à consulter Internet contre 77% la télévision. « C’est auprès d’eux qu’il faut pousser de l’information de qualité », confie Samuel Bollendorff.

Une audience jeune que des diffuseurs et producteurs comme Arte TV et lemonde.fr ne cherchent apparemment pas à séduire. Ils ne visent pas, selon eux, à rajeunir leur public mais veulent plutôt proposer à leurs internautes « une expression journaliste sur le web des plus abouties », selon Boris Razon du monde.fr.

Une forme au service du contenu

Plaire au public ne va cependant pas sans instruire. Le type de webdocumentaire que nous étudions a, avant tout, pour but de délivrer une information de qualité, fouillée, documentée propre à l’enquête journalistique, au documentaire. Yves Jeanneret explique cette nécessité de créer du sens en se référant aux CD-rom ludo-éducatifs évoqués plus haut :

La décision de révéler un espace textuel sous l’espace sensoriel est la condition de lecture des objets informatisés. Mais si cette première lecture réflexe n’ouvre à aucune lecture pleine, susceptible de questionner les représentations de cet utilisateur, ce « ludo-éducatif » n’aura pas été éducatif.

L’auteur souligne ainsi qu’une forme ludique doit être au service d’un contenu éducatif. Ce qu’il nomme « espace sensoriel » ou « lecture réflexe » s’illustre par l’attention portée à l’interactivité, à la navigation et à l’esthétisme dans un webdoc. Cette forme nouvelle  permet à l’internaute d’être aussi bien informé qu’avant mais grâce à d’autres outils plus ludiques.

Les sujets traités sous forme de webdocumentaire doivent susciter et nourrir la réflexion de l’internaute. C’est le but affiché, par exemple, par Prison Valley. Des forums de discussions sont ouverts sur différentes problématiques liées aux milieux carcéraux français et étranger. Des tchats ont également lieu tous les jeudis soirs pendant un mois. Les internautes peuvent alors poser leurs questions à des invités sur des thèmes liés au sujet du webdoc. Les deux premiers invités étaient Gonzague Rambaud, co-auteur de Travail en prison : enquête sur le business carcéral  (éditions Autrement, 2010) et Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la Justice.

Outre l’aspect participatif, ces tchats permettent à l’internaute de prolonger sa réflexion après avoir visionné le documentaire et d’obtenir des compléments d’information comme il est indiqué sur la page d’accueil des forums : « Ici, on discute des prisons, on partage les savoirs, et on débat entre internautes du monde entier. » Dans certains forums, ce sont surtout les internautes qui postent leurs points de vue, pas toujours très intéressants, sur le webdoc. Toutefois, les discussions avec des intervenants permettent d’aller plus loin sur le sujet.

Crédit photos cc FlickR mattbraga, lightsurgery, Laurence Vagner.

Article initialement publié sur webdocu.fr dans le cadre de la série WEBDOCUS à l’étude.

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