OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La disparition de la race occupe la présidentielle http://owni.fr/2012/03/22/presidentielle-on-debat-race/ http://owni.fr/2012/03/22/presidentielle-on-debat-race/#comments Thu, 22 Mar 2012 17:37:48 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=103082

Citation : “Rien n’est plus utile à l’homme qu’un homme vivant sous la conduite de la Raison” – Spinoza

Le presque centenaire philosophe et anthropologue Claude Lévi-Strauss avait proposé à l’Académie française de supprimer le mot race du dictionnaire de la langue française, mais de définir bien sûr le mot racisme qui commence justement par la croyance à l’existence de plusieurs races humaines. Et, de fait, si l’on pouvait encore être raciste il y a trente-cinq mille ans puisque se côtoyaient deux races distinctes, les homo sapiens sapiens et les homo sapiens néandertaliens, depuis cette période ancienne on sait qu’il n’y a qu’une race humaine, porteuse d’un patrimoine génétique unique et de différences physiques superficielles qui ne sont guère plus importantes d’une ethnie à l’autre qu’à l’intérieur de chaque ethnie.

C’est bien pourquoi Nicolas Sarkozy avait fait rire son entourage lors de sa visite de la grotte de Lascaux, en s’étonnant que des néandertaliens aient pu avoir tant de talent, alors que jamais cette race hominienne n’a été associée à la moindre œuvre d’art. Être autant inculte quant à ce que sont les humains ne peut bien sûr aider à élever sa pensée lorsqu’on s’adresse à eux.

C’est donc en toute cohérence que François Hollande propose de supprimer le mot race du préambule de l’actuelle Constitution française, après que déjà deux députés, l’un socialiste l’autre communiste, l’ont proposé déjà à l’Assemblée nationale, se heurtant au refus de l’UMP.

Ce serait en effet un acte politique et philosophique fort à l’adresse du monde entier, et une forme digne de rupture avec un passé pas si lointain où le racisme s’affichait de façons grossières. Sait-on par exemple que l’Exposition universelle parisienne de 1889 avait accordé une belle place à des ensembles de familles néandertaliennes sculptées, à l’initiative du Dr Hamy, entre deux exhibitions d’exemplaires vivants de peuples colonisés ?

Il s’agissait en effet de présenter, au pied de la Tour Eiffel puis au jardin zoologique d’acclimatation, des familles arabes, canaques, de Noirs d’Afrique, des exemplaires d’Inde ou de Ceylan et autres Aborigènes ou Lapons, comme autant de témoignages d’une humanité dépassée dont les Européens dérivent, “races” sauvages et barbares précédées elles-mêmes par les gorilles et orang-outang, présentés aussi à l’Exposition de 1889 !

Sait-on aussi qu’Ernest Renan, auteur d’une pieuse Vie de Jésus, en accueillant Ferdinand de Lesseps à l’Académie française, déclarait que ” l’humanité se compose de deux milliards de créatures ignorantes, bornées, avec lesquelles une élite est chargée de faire de la justice et de la gloire “, et appelait par ailleurs à combattre l’Islam ?

Leçon de philo à l’usage de Guéant

Leçon de philo à l’usage de Guéant

Claude Guéant estime que "toutes les civilisations ne se valent pas". Jean-Paul Jouary lui répond, avec philosophie. Pour ...

Bref, cette proposition de suppression du mot race de nos textes constitutionnels est une réponse pertinente à quelques discours récurrents qui se propagent autour de ce Président qui confond notre race avec celle des néandertaliens. Après les précédents de messieurs Hortefeux et Guéant, après tout ce que la famille Le Pen a pu déverser depuis quelques années, c’est en effet tout un climat qui tend à se banaliser autour de thèmes xénophobes qui n’étaient qu’honteusement murmurés auparavant par les courants les plus ouvertement racistes.

On parle de référendum contre les chômeurs et les immigrés, de durcissement aux frontières, de reconnaissance anthropométrique sur la carte vitale, de civilisations qui ne se valent pas toutes. Et de viande abattue selon les traditions musulmane et juive, et qu’on nous imposerait insidieusement à notre insu. L’autre conseiller élyséen Henri Guaino parle de refuser qu’une minorité impose cette nourriture à tout le monde, tandis que le Président va se faire applaudir par l’électorat nostalgique de l’Algérie coloniale. Cela fait beaucoup. Et cela menace l’ensemble des citoyens. Pour quelle raison ?

” Il n’est donné dans la nature aucune chose singulière qui soit plus utile à l’homme qu’un homme vivant sous la conduite de la Raison “, écrivait Spinoza dans L’Ethique, et il poursuivait :

Quand chaque homme cherche le plus ce qui lui est le plus utile à lui-même, alors les hommes sont le plus utiles les uns aux autres.

Autre façon de dire qu’une société se porte d’autant mieux que ses citoyens raisonnent en cherchant ce qui est bon pour tout humain. Dès que l’on cesse de chercher son propre bien pour reporter sur la haine de l’autre ses propres maux, passant ainsi de l’amour à la haine et de la raison aux plus instinctives passions, chacun devient nuisible aux autres et à lui-même. Finalement, on ne doit pas regretter que ce débat et ces propositions soient entrés dans le débat électoral : cela peut éclairer violemment la nature de certains choix d’avenir …


NB : Lire par exemple, sous la direction de P.Blanchard, N.Bancel, G.Boëtsch, E.Deroo et S.Lemaire, Zoos humains et exhibitions coloniales, Ed. La découverte, 2002. Ou encore : Culture coloniale, par P.Blanchard et Sandrine Lemaire, Ed.Autrement, 2003. Puis, pour renaître à l’éthique et à la politique, se plonger dans la difficile mais essentielle lecture de L’Ethique, de Spinoza. Quant à l’Eloge de la différence d’Albert Jacquard, il demeure malheureusement d’une étonnante actualité.


Poster-citation par Marion Boucharlat pour Owni /-) Illustration texture par Temari09 (CC/Flickr)

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Tous candidats à l’humanité http://owni.fr/2012/03/01/tous-candidats-a-l%e2%80%99humanite/ http://owni.fr/2012/03/01/tous-candidats-a-l%e2%80%99humanite/#comments Thu, 01 Mar 2012 12:24:32 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=100216 Citation : « Ils savent bien que détruire l’ignorance, c’est détruire l’étonnement imbécile, c’est-à-dire leur unique moyen de raisonner et de sauvegarder leur autorité » - Spinoza

Dans le droit fil de la chronique précédente, tous les débats en cours sur l’école nous invitent aussi à nous interroger sur ce que « être humain » signifie, ce qui permet d’en faire un enjeu de grande portée politique au sens le plus noble du terme, en se gardant d’en rester à des revendications éclatées qu’il est toujours facile de dévoyer et noyer dans l’absence de réel espoir. Pourquoi nous, les humains, avons-nous besoin d’école, alors que n’importe quel animal porte dans ses gènes de quoi vivre et se reproduire ?

Jean-Jacques Rousseau remarquait qu’ « un animal est, au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans ». Il est vrai qu’à la naissance l’être humain est le plus inapte à la survie élémentaire justement parce qu’il va devoir développer en lui tout ce que les générations antérieures ont créé de possibilités et de nécessités. Le petit d’homme va peu à peu les acquérir et ce, à l’extérieur du ventre maternel, dans un milieu culturel humanisant. Il ne cessera jamais de devenir humain.

L’humain est un devenir, jamais un être achevé. C’est bien pourquoi parler d’ « identité » à propos d’un humain c’est nier sa spécificité humaine. Il n’y a ni identité individuelle, ni identité sociologique, ni identité nationale. Car définir une telle identité, c’est déjà refuser toutes les potentialités de devenir autre, c’est fracturer l’humanité et alimenter les ignorances réciproques. Devenir autre que soi est le destin de tout humain, donc s’enrichir des différences c’est s’enrichir, et devenir différent de soi, à l’infini.

La seule façon d’identifier un humain, c’est reconnaître qu’il n’aura jamais d’identité. Ce n’est pas seulement une question d’humanisme et de citoyenneté, c’est une question de compréhension de soi et d’autrui. Pour un être humain, « être soi-même c’est toujours être autre que soi », selon la belle formule de Jean-Paul Sartre.

C’est bien pourquoi on arrose une plante, on dresse un animal, mais on éduque un humain. Il ne s’agit pas de former en lui une capacité à répéter, reproduire ce qu’on lui enseigne. Il s’agit certes de lui faire acquérir et intérioriser beaucoup de choses qui existent déjà, mais de le faire en développant en lui la capacité et le plaisir de chercher et inventer des choses nouvelles. Toute société moderne a besoin d’une telle créativité, laquelle ne peut se former toute seule. La vie familiale, les drames mêmes, contribuent depuis toujours à la formation d’une passion de créer. Mais à l’échelle d’une société, c’est bien le système éducatif qui peut y contribuer de façon décisive, et pour tous.

S’il ne s’agissait que de répéter, alors des logiciels, des ordinateurs et Internet y suffiraient. Certes, si les comportements animaux sont pour l’essentiel transmis génétiquement, les conduites humaines sont façonnées par l’intériorisation d’un patrimoine culturel. « Chaque génération éduque l’autre », écrivait Emmanuel Kant, mais il ajoutait aussitôt :

Il faut procéder socratiquement dans l’éducation.

Socratiquement, cela signifie qu’il ne suffit pas de montrer à l’autre quel chemin il doit prendre, mais il faut aussi former en lui la capacité à trouver le bon chemin, à tracer lui-même le bon chemin, à force de contradictions, d’étonnement, de prise de conscience de l’erreur, de désir d’en sortir. C’est en marchant, donc en tombant, que l’on apprend à marcher. Le patrimoine culturel n’est assimilé vraiment que par des pensées personnelles, des volontés de penser, des désirs et des plaisirs de connaître et de créer.

C’est là la découverte définitive des philosophes grecs de l’Antiquité comme Platon ou Aristote : il n’est de savoir qu’à partir d’un sens de la question. Or chacun de nous a dès l’enfance le sentiment d’avoir des réponses, et ressent avant tout un besoin qu’on donne des réponses. A l’adolescence, cela se manifeste tout particulièrement contre d’autres réponses (celles des parents par exemple). Il faut bien devenir soi-même.

C’est un moteur et un frein. Un frein car cela peut tuer la curiosité et tourner vers des activités non épanouissantes. Pour que cela devienne un moteur, il faut que d’une manière ou d’une autre le jeune entre en contradiction avec lui-même. Il se sentait plein, plein de réponses, et soudain ces évidences éclatent, elles se révèlent incohérentes, impossibles, leur volatilisation crée alors un vide, un vide dérangeant, un vide qui appelle à être rempli.

Alors il y a ce que les Grecs anciens appelaient l’étonnement, la contradiction avec ce que l’on pensait, ce qui crée le désir de remplir ce vide. Là où il y avait des réponses il y a désormais des questions, des désirs de nouvelles réponses, l’attente du plaisir de les découvrir. Voilà ce qu’un logiciel, un site internet, ne sauront jamais produire. Voilà ce qui rend l’enseignant nécessaire.

Avec, peut-être, pour référence, Pascal qui, dans la préface de son Traité du vide, écrivait que, “toute la suite des hommes, pendant le cours de tous les siècles, doit être considéré comme un seul homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement.”Ou encore à Kant qui écrivait dans ses Réflexions sur l’éducation que, “l’espèce humaine doit, peu à peu, par son propre effort, tirer d’elle-même toutes les qualités naturelles de l’humanité. Une génération éduque l’autre.”


Poster-citation par Marion Boucharlat pour Owni /-) ; Texture par Temari09 cc/Flickr

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