OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Photoshop l’a tuer http://owni.fr/2011/05/02/ben-laden-photoshop/ http://owni.fr/2011/05/02/ben-laden-photoshop/#comments Mon, 02 May 2011 15:21:11 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=60584

Lundi matin, lendemain de 1er mai, la France qui s’était couchée encore émue du souvenir du mariage princier se réveille en sursaut à la nouvelle de la mort de Ben Laden (voir ci-dessus).

Surchauffe dans les rédactions. Quel angle choisir pour présenter la disparition de l’ennemi public n°1, qui met fin à dix ans de traque ininterrompue? Vers 8 heures du matin, de nombreux sites de presse, suivant les suggestions visuelles de l’AFP, parent au plus pressé et montrent des soldats apprenant la nouvelle par la télévision (voir ci-dessus). Traitement minimaliste d’une news qui ne s’est pas encore vraiment concrétisée.

Mais les choses s’accélèrent avec l’apparition d’une image supposée du cadavre, diffusée par la télévision pakistanaise Geo TV, reprise en France peu après 8h par I-Télé et BFM-TV. A 8h46, Le Figaro est le premier quotidien national à reproduire sur son site une capture d’écran prise à la volée où l’image apparaît très anamorphosée :

Des chaines de télévision pakistanaises montraient lundi le visage partiellement défiguré d’un homme qu’elles présentent comme Oussama Ben Laden, tué dans une opération américaine au Pakistan, sans pouvoir cependant authentifier l’image. La photo montre un homme arborant une barbe hirsute, le visage en sang et partiellement enfoncé au niveau des orbites (voir ci-dessus).

Malgré toutes ces précautions oratoires, l’appel d’article apparaît bien en Une avec son illustration, composant avec le portrait de Barack Obama un bon résumé visuel de l’événement du jour (voir ci-dessous).

Ce choix est risqué. Comme le suggère le diaporama du Monde (voir ci-dessus), le visage du chef d’Al Quaida, dont on n’a aucun portrait récent, devrait être plus âgé, sa barbe grise, comme en témoignait une vidéo de 2004. Plutôt que de montrer l’image, même assortie des prudences du conditionnel, LeMonde.fr ou Libération.fr ont choisi de s’abstenir, en attendant de plus amples vérifications.

Mais la tentation est trop forte. Alors qu’I-télé et BFM-TV reprennent en boucle la photo du visage tuméfié (voir ci-dessus), l’AFP publie à 8h46 en tête de son choix d’images une photo d’Irakiens pointant du doigt la reprise de la photo sur un écran de télé à Bagdad. Le Parisien n’hésite plus, et affiche sur son site à 9h04 « les images du cadavre de Ben Laden », suivi à 9h24 par le Nouvel Observateur, qui l’insère en encart sur un portrait d’Obama, pour une composition proche de celle du Figaro.fr (voir ci-dessous).

Entretemps, sur Twitter, l’information se répand que cette photo serait un trucage. Rosaura Ochoa a mis en ligne sur Twitpic dès 9h un montage qui montre que le visage tuméfié est une image retouchée réalisée à partir d’un portrait de Ben Laden de 1998 par Reuters (une image qui a d’ailleurs été utilisée pour illustrer la Une du Nouvel Obs quelques minutes auparavant…). Selon Buzzfeed, il s’agit d’un fake déjà ancien. Cette image existe effectivement en de nombreux exemplaires sur internet, par exemple en illustration, datée d’avril 2009, d’un article conspirationniste affirmant que le terroriste est déjà mort (voir ci-dessous).


Je relaie à mon tour sur Twitter l’information du trucage. Le Nouvel Observateur est le premier à changer son illustration de Une, à 9h45. Averti par ses lecteurs en commentaire, LeFigaro.fr modifie l’article à 9h56, puis retire l’illustration en appel de Une. Par la grâce des mises à jour, le dérapage est effacé sans laisser de traces. Mais à 10h32, alors que l’AFP a mis à jour sa sélection d’images, I-Télé continue de diffuser la photo du prétendu cadavre (voir ci-dessus).

A la différence de la capture de Saddam Hussein, les pouvoirs publics américains n’ont pas publié les images de l’assaut ni de la mort de Ben Laden, dont le corps a été, a-t-on appris au cours de la matinée, enseveli en haute mer. Les apercevra-t-on plus tard? L’état de la dépouille risque de contredire la formule “justice est faite” utilisée par le président Obama pour qualifier l’opération. Pour l’heure, les États-Unis ne souhaitent visiblement pas favoriser le culte d’un martyr.

Mais le portrait de l’ennemi vaincu, figure habituelle de la victoire, manque. Ben Laden n’était pas n’importe quel ennemi, mais un homme traqué dont l’image s’était progressivement amenuisée, encourageant tous les fantasmes. La confirmation de sa défaite était si ardemment désirée qu’on aura pu la projeter dans un médiocre trucage, illisible à force de passer de support en support. Comme par un dernier pied de nez, c’est Photoshop qui aura fourni à l’Occident cette preuve ultime de sa victoire.


Article initialement publié sur l’Atelier des icônes, un blog de Culture Visuelle

Photo d’illustration à partir de la photo FlickR CC AttributionShare Alike Andrew Ciscel


Retrouvez notre dossier :

L’image de Une en CC pour OWNI par Marion Boucharlat

Ben Laden dans les archives des services secrets par Guillaume Dasquié

Les 300 000 morts de la guerre contre le terrorisme par Jean Marc Manach

Mort de Ben Laden : l’étrange communication de l’Élysée par Erwann Gaucher

L’ami caché d’Islamabad par David Servenay

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Passés numériques http://owni.fr/2010/10/27/passes-numeriques/ http://owni.fr/2010/10/27/passes-numeriques/#comments Wed, 27 Oct 2010 13:13:52 +0000 Yann Leroux http://owni.fr/?p=33721

J’ai lu sur le Bloc-notes visuel, d’André Gunthert un commentaire ironique d’un court article publié sur LeMonde.fr qui découvrait horresco refferens que des parents postaient sur Facebook les images de leur progéniture à peine née :

L’alarmisme du Monde provient de la confusion entre téléchargement et “identité numérique” commente André Gunthert.

Il est vrai qu’une image ne fait pas une identité numérique. Celle-ci se construit au fil du temps : il faut l’accumulation des messages, des images, mais aussi des commentaires et les liens que font les autres pour que quelque chose comme une identité numérique émerge.

Il faut dire à la décharge de LeMonde.fr que l’alarmisme est déjà dans l’article de référence :

D’abord, vous créez une histoire digitale pour un être humain qui va le ou la suivre le reste de son existence. Quelle sorte d’empreinte voulez-vous pour votre enfant, et qu’est ce qu’ils penseront  plus tard de ce que vous avez mis en ligne ?

Ensuite, cela rappelle la nécessité pour les parents d’être soucieux des réglages de leur réseau sociaux et de leurs autres profils. Sinon, partager l’image d’un bébé et une information peut ne par être partagé uniquement avec des amis et la famille mais avec tout l’Internet AVG CEO JR Smith

Un fait demeure : un enfant qui nait aujourd’hui aura un historique numérique presque complet de son existence alors que les plus geeks d’entre nous ne peuvent guère remonter au-delà de 20 ans. il faut comparer cela à ce que dit Mc Luhan qui faisait remarquer dans les ‘50 qu’un enfant de 10 ans a déjà vu plus d’images qu’un homme de 65 ans.

Plusieurs remarques. D’abord, nous sommes devenus des méga-producteurs de documents. Nous documentons nos vies et celles de nos proches, nous en sommes les patients archivistes et bibliothécaires. Les visions romantiques qui rapprochaient l’homme, la bibliothèque et le livre deviennent une réalité dans le cyberespace. L’homme y devient un document comme les autres (Olivier Ertzcheid).

Ensuite, le cyberespace est de moins en moins vu comme un monde “virtuel” et de plus en plus vu comme un monde dans lequel on peut laisser son empreinte. Le monde comme virtuel était celui du monde des idées. L’internet était la caverne platonicienne dans laquelle on pouvait admirer les splendeurs idées mathématiques. Il est maintenant de plus en plus un monde sensible qui garde trace de nos actions.

Enfin, les problèmes viennent rarement d’inconnus. Les difficultés que nous avons n  viennent de nos proches, de nos familles. Et les amis d’aujourd’hui ne seront pas nécessairement les amis de demain. Réserver des images à son cercle de connaissances n’offre aucune garantie tout simplement parce que qu’il n’y a pas de garantie quant à l’avenir.

Pour le psychologue, l’avenir s’annonce plein de surprises : comment ferons nous avec les archives familiales ? Allons nous plonger dans les milliers de documents de la famille pour mieux nous comprendre ? Que deviendront les légendes familiales avec tant de documents en ligne ? Comment fonctionneront les non-dits et autres secrets ? Comment sera investi le passé ?

Crédit photo : FlickR CC, Looking into the past par Nomad Tales

>> Article publié initialement sur Psy et Geek

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