OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les Data en forme http://owni.fr/2011/11/21/data-anthropocene-bruner-ows-milliardaires-loir-et-cher/ http://owni.fr/2011/11/21/data-anthropocene-bruner-ows-milliardaires-loir-et-cher/#comments Mon, 21 Nov 2011 11:55:18 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=87585 Nous avons tous été émerveillés, un jour ou l’autre, par les photos de la Terre vue de l’espace. Notamment celles qui permettent de deviner les contours de nos continents au moyen unique des lumières nocturnes de nos mégalopoles. Fruit de la domination et de l’influence de l’homme sur son environnement, cette vision scintillante de la planète participe de l’anthropocène qui a inspiré l’anthropologue canadien Felix Pharand-Deschenes du site Globaia.org pour réaliser de magnifiques visualisations de la Terre à partir de données publiques : villes, routes, voies ferrées, lignes aériennes, lignes électriques, câbles internet…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Mouvoir et émouvoir

La mobilité des Étasuniens est légendaire. L’an passé, près de 40 millions d’entre-eux ont déménagé, dont 10% d’un État à l’autre. Journaliste chez Forbes, Jon Bruner s’est emparé des données de l’IRS (service des impôts) pour réaliser une carte interactive des flux migratoires comté par comté, entre 2005 et 2009. En dehors d’être sobre, jolie et informative, cette cartographie est un remarquable dispositif ludique pour approfondir ses connaissances géographiques des États-Unis.

Utile pour déménager, le très classe Chasseur de Maison a été pondu par le site immobilier Trulia, qui démontre à cette occasion ce qu’il est possible de réaliser grâce à l’ouverture de ses propres données – y compris pour une entreprise privée. Ici, en analysant le trafic de son site internet et de son application mobile entre juin et août 2011, Trulia réussit à générer une visualisation claire et granulaire – jour après jour et heure par heure – des recherches immo des internautes. Si votre cerveau est assez performant pour faire un mash-up avec le site précédent, vous pourrez même vous amuser à confirmer (ou pas) le coefficient de bougeotte des citoyens étasuniens.

Puisque nous sommes aux USA et dans la data restons-y avec une petite app du site The Atlantic Cities. Réalisée à partir des données du Département du Travail et d’une enquête de consommation du site immobilier Zillow.com, cette application légère offre un cliché data instantané des principales villes américaines grâce à neuf indicateurs basiques autour de la population, du logement, de l’éducation ou du tourisme. A défaut de remporter un grand prix de webdesign ou de casser trois pattes à un canard, ce petit module utile pourrait, qui sait, gagner votre généreuse approbation.

“Point d’argent, point de Suisse.” – Racine

Vous êtes lecteur fidèle d’OWNI, et vous savez donc que nous suivons de près le mouvement Occupy Wall Street. Cette semaine, ce mouvement mondial rencontre deux acteurs majeurs de la data. En premier lieu, le New York Times publie Public Opinion and the Occupy Movement (l’opinion publique et le mouvement “Occupy“), résultat graphique d’un récent sondage réalisé en collaboration avec CBS News auprès du grand public, afin de recueillir leurs sentiments face aux revendications et aux méthodes des protestataires. L’application web (en HTML5) restituant ce sondage montre d’un coup d’œil la répartition croisée de la question-réponse au moyen d’un recensement colorimétrique de chaque témoignage placé dans sa case, et lie chaque point au texte du témoignage.

Le Guardian est également un habitué des démonstrations magistrales. Quelques chiffres mis en forme sobrement rappellent la réalité des principaux faits économiques aux États-Unis, la disparité des richesses et des revenus, de l’évolution de ceux-ci, et offre une lecture subtile et approfondie des origines du mouvement mondial “We are the 99%” : en vérité, il s’agirait plutôt de dire “nous sommes les 99,99%”. Difficilement perceptible dans les faits, l’étau se resserre grâce à la data, qui accompagne la mutation sociétale dont nous sommes témoins et acteurs plus ou moins passifs.

Un pas de côté nous permet de présenter Drawing Lines Between Billionaires and Politicians (tracer des lignes entre les milliardaires et les politiques), imaginé et mis en forme par Jon Bruner, que nous avons déjà évoqué plus haut. Après avoir passé une partie de l’été à décomposer et analyser les enregistrements de la Commission électorale fédérale, il a modélisé les relations entre les plus riches – notamment les fameux 0,01% dont parle la vidéo du Guardian – et les comités d’action politique, organisations privées dévolues au soutien des partis. À noter, si l’infographie est indéniablement très “data”, elle souffre difficilement la comparaison avec la dataviz produite l’an passé par Bruner et avec laquelle nous vous invitons également à jouer.

Restons encore un peu dans le business : si vous suivez les Data en forme, vous vous souvenez certainement de la viz du NYT (“It’s all connected“) sur l’interdépendance des dettes des États. Cette semaine, la BBC a sorti les pinceaux du placard pour produire sa propre visualisation. Pas maladroite, cette petite app nous paraît encore mieux goupillée que celle du célèbre média new-yorkais : plus sobre, esthétiquement mieux rendue, elle rend hommage à l’adage “Less is More“. Simple et efficace, what else.

“Ces gens-là ne font pas de manières.” - Michel Delpech

On ne se quittera pas sans avoir évoqué la question de l’ouverture des données. Peu cité dans les différentes cartographies de l’Open Data en France – dont celle de LiberTIC que nous vous encourageons à alimenter – le département du Loir-et-Cher dispose de sa plate-forme d’information territoriale : Pilote41. Question centrale aujourd’hui, au cœur du processus de régénération démocratique dont la prochaine élection présidentielle française pourrait être le point d’orgue, l’ouverture des données poursuit donc sa progression aux six coins de l’Hexagone. Même si de très nombreux progrès restent à faire, comme le soulignait la directrice de l’iFRAP au cours des 2e Assises de l’évaluation des politiques publiques. Agnès Verdier-Molinié a d’ailleurs dressé sur le site de la Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques Publiques une liste exhaustive des “données essentielles et abusivement non publiées”. À bon entendeur.

Pour terminer ce 9e opus des Data en forme, il nous reste à signaler aux plus talentueux de nos lecteurs le second défi de visualisation du site référence en la matière Information is Beautiful. Pas moins de 5 000 dollars de prix pour une compétition ayant pour thème “MON€Y PANIC$!“. Bon courage aux héros !

IIB Awards


Retrouvez les précédents épisodes des Data en forme !

Crédit photo : Globaia.org

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Quand l’e-gouvernance aggrave la fracture sociale en Inde http://owni.fr/2011/07/15/bhoomi-egouvernance-inde-karnataka/ http://owni.fr/2011/07/15/bhoomi-egouvernance-inde-karnataka/#comments Fri, 15 Jul 2011 09:58:23 +0000 Alexandre Marchand http://owni.fr/?p=73605

Bhoomi. Le blason étincelant de l’e-gouvernance en Inde. Bhoomi. Une vitrine bien astiquée de démocratie moderne. Bhoomi. C’était presque trop beau pour être vrai.

Depuis 2001-2002, la base de données Bhoomi (“terre” en kannada) recense près de 20 millions de titres de propriétés foncières de fermiers de l’État sud-indien du Karnataka. Auparavant, le travail était effectué, à la main, par des responsables locaux en charge de plusieurs villages. Eux seuls pouvaient délivrer un titre de propriété (“Record of Rights, Tenancy and Crops”, abrégé “RTC”), sésame nécessaire à l’obtention de subventions, prêts bancaires, assurances… Dorénavant, toutes les données sont numérisées et centralisées en un réseau LAN reliant des agences couvrant les 177 districts de l’État. Il suffit donc de se rendre au kiosque où un agent s’occupe de la transaction, un écran montrant simultanément au client les manipulations effectuées.

La Banque Mondiale, un des fervents soutiens du projet, s’extasiait même en 2004:

Le projet Bhoomi (…) montre que mettre à disposition des citoyens les services du gouvernement, de manière transparente et efficace, leur donne les moyens de défier l’action corrompue et arbitraire de l’administration

Difficile de trouver une voix dissonante dans les commentaires laudateurs parsemant les sites officiels indiens. Et pourtant, tout est loin d’être aussi rayonnant dans le monde selon Bhoomi. Une étude, étouffée pendant de longs mois avant d’être rendue publique début 2007, tranche avec le discours public. Elle y montre comment la base de données, partant pourtant d’une bonne intention, a été accaparée par de gros promoteurs fonciers (que ce soit l’État ou des entreprises privées) à l’insu des populations rurales. Elle y démontre, de plus, que les objectifs premiers de Bhoomi (réduction de la corruption et des délais administratifs) n’ont pas été atteints.

Contacté par OWNI, le controversé créateur de Bhoomi, Rajeev Chawla, s’est contenté de réponses évasives et vagues.

Bhoomi e Governance

Corruption, délais: peut mieux faire

En réduisant et en centralisant le nombre de personnes habilitées à délivrer un RTC, la corruption, loin de diminuer, s’est maintenue. Quand elle n’a pas augmenté. Les employés des kiosques de Bhoomi, désormais en charge d’étendues relativement larges, ne sont plus soumis à la pression sociale du village qui jugulait leur appétit.

Parmi les six districts (taluks) étudiés autour de Bangalore, le schéma se confirme à chaque fois. Dans un des quartiers péri-urbains visés, par exemple, obtenir la mutation juridique d’un titre de propriété nécessitait auparavant une commission moyenne de 500 à 5000 roupies (7,5/75€). Avec Bhoomi, le pot-de-vin se monte à un minimum de 3000 à 5 000 roupies (45/75€) en temps normal, pouvant atteindre jusqu’à 15 000 ou 20 000 (225/300€) au moindre problème.

Le système ne bénéficie même pas de la rapidité informatique par opposition aux lourdeurs bureaucratiques d’antan. Les témoignages recueillis sur le terrain sont révélateurs. Pour la moindre action dépassant la simple obtention d’un RTC, un fermier doit maintenant compter deux à quatre mois et plusieurs visites à l’agence (donc autant de jours de travail en moins).

Faciliter le développement des grosses entreprises

Bhoomi touche au coeur d’un enjeu majeur du développement de l’Inde: la propriété de la terre. Le programme est utilisé comme un outil pour faire entrer le Karnataka dans l’ère de la mondialisation et attirer les entreprises à haute valeur ajoutée. Et là, le bât blesse. Dans la course à la croissance, les intérêts des grands conglomérats se heurtent souvent à ceux des populations locales, peu désireuses de quitter leurs terres et lucides quant aux promesses d’indemnisation.

La question de la propriété foncière est particulièrement prégnante à Bangalore. La capitale du Karnataka est l’équivalent indien de la Silicon Valley, le centre des grosses entreprises des technologies de l’information (“information technology” en anglais, IT). Il est donc vital pour le gouvernement local de ménager ces sociétés et de faciliter leur développement, notamment géographique. Infosys, Reliance Global ou encore ITC Infotech, pour ne citer que les plus importantes, sont notamment basées dans la ville . Ces fleurons de l’économie nationale jouent le rôle de locomotive d’une croissance indienne. Depuis plusieurs années, les dirigeants du Karnataka se sont donc lancés dans le vaste projet d’aménagement d’un “IT Corridor”: une zone, équivalente à 1,5 fois Paris, réservée aux entreprises d’IT.

Repérer les terres vulnérables

En centralisant la gestion des terres, Bhoomi facilite l’obtention d’informations pour la réalisation de gros projets fonciers de ce type. Il permet notamment de repérer les terres les plus vulnérables. Le but de cette restructuration des terrains: être le plus attractif possible aux investissements extérieurs. Même aux dépens des populations locales. Le fermier ne peut plus espérer peser sur la transaction, qui se faisait auparavant au niveau local.

60 à 70% de la population rurale de l’État dépend terres en défaut de paiement de taxes (pada). En raison de leurs faibles revenus, les petits fermiers n’ont généralement pas les moyens de lever ce statut (par un pot-de-vin ou le paiement de l’amende). Grâce à Bhoomi, des intermédiaires approchent ces fermiers pour leur proposer de lever la pada. En échange de quoi ils apposent leur nom ou celui de leur client sur le titre de propriété. Les terres pada étant classées en tant que sarakari (publiques) dans Bhoomi, leur acquisition est d’autant plus facile.

Quand l’État veut attirer les investisseurs

L’État du Karnataka joue ici un rôle crucial. Contrairement au secteur privé, les organismes publics (notamment le Karnataka Industrial Area Development Board, ou KIADB) détiennent le pouvoir de consolider un patchwork de terrains en une large parcelle.

Le KIADB est en droit d’acquérir n’importe quel terrain repéré par une des entreprises d’IT de Bangalore. Il lui suffit d’en notifier le propriétaire, qui ne pourra que très difficilement s’opposer à la mainmise sur ses terres. Selon des chiffres de 2005, le KIADB, aidé par des lois autoritaires, rachète des terres 18 000 à 23 000 euros/hectare aux fermiers, quand le prix du marché se situe entre 120 000 et 420 000 euros/hectare.

L’organisme public en profite d’ailleurs régulièrement pour s’emparer de plus de terres que nécessaire, une bonne partie du bénéfice allant alimenter le monument de la corruption indienne. Depuis 2009, le KIADB s’est ainsi procuré 37 000 hectares de terres agricoles, dont seuls 2 400 ont été redonnés à des projets divers.

La leçon de Bhoomi: dépasser la simple ouverture des données

Si nous voulons vraiment un gouvernement ouvert, nous avons toujours la lourde tâche de corriger les inégalités fondamentales et persistantes. Quelle que soit la fluidité avec laquelle elle circule, l’information seule ne suffit pas

Dans une récente tribune, le magazine américain Wired brandissait le cas de Bhoomi en (contre-) exemple des problématiques de l’ouverture des données. Le programme représente indéniablement un effort salutaire d’harmonisation et de numérisation des documents administratifs. Et pourtant cette e-gouvernance s’avère être un outil redoutable aux mains des forces qui modèlent le Karnataka d’aujourd’hui et de demain: seule une certaine frange des citoyens possède les aptitudes pour décrypter et utiliser cette nuée d’informations. Au risque de se retourner contre ces mêmes populations qu’elles sont censées protéger, les révolutions numériques ne peuvent résolument, en aucun cas, se dispenser d’une justice sociale.

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Illustrations: Flickr CC PaternitéPas de modification Clara Giraud PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Alexandre Marchand

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Le Paris touristique, ses étrangers et ses logements http://owni.fr/2011/06/12/paris-immobilier-touristique-etrangers-logements-pied-a-terre/ http://owni.fr/2011/06/12/paris-immobilier-touristique-etrangers-logements-pied-a-terre/#comments Sun, 12 Jun 2011 11:23:20 +0000 Seb Musset http://owni.fr/?p=67099 Un constat : ici, la plaie immobilière s’appelle “placement“.

Grâce à elle, sous deux variantes, “immeubles de bureaux (vides)” pour banques ou entreprises et “investissement locatif” pour particuliers, il devient impossible pour une famille moyenne, sans héritage ou indispensablecoup de pouce parental“, de vivre, à la location ou à l’achat, dans une ville qui vire à vue d’oeil au ghetto pour riches. NDLR : ce n’est pas tant le mot “riche” qui me défrise que celui de “ghetto“, le manque de mixité sociale (habitation comme commerce) étant un des fléaux foncier et sociologique de ce pays.

Que ce soit dans les villes-banlieues, les campagnes-ghettos et les capitales-villages aseptisées, le manque de mixité débouche sur le mépris respectif des populations, permet aux communautarismes de se renforcer, aux méfiances de prospérer.

Dsl, nous le destinons à la location saisonnière, plus rentable, plus fléxible car l’idée est que nous ayons un pied-à-terre à Paris.

Comme si le locataire parisien n’en avait déjà pas assez de la pénurie de logements (artificielle, Paris est une coquille vide), de la gentrification , de l’abondance de taudis (car bizarrement la folie foncière n’a d’équivalent dans l’excès que l’insalubrité de son offre), il doit désormais faire face à la mode de la “pied-a-terrisation” de la capitale.

Il s’agit pour un propriétaire de mettre son bien immobilier rénové et meublé à la location pour la classe-moyenne supérieure (étrangère généralement et en vacances spécifiquement) ou les cadres supérieurs. Se substituant ainsi au parc hôtelier, le proprio loue son 2 ou 3 pièces à 800 euros la semaine à une famille brésilienne, russe, allemande ou américaine qui, bien dans l’air du temps, pourra “s’imprégner de la vie parisienne” sans prendre le risque de bouger de son standing habituel.

Le propriétaire a deux options :

  • soit il déclare la location et empoche une réduction d’impôt de 50%,
  • soit il opère “au noir” et empoche bien plus.

Dans le deuxième cas, l’opération est sans risque. Les sommes sont payées à l’avance, par internet, ou en cash sur place. Il y a déjà bien peu d’inspecteurs du travail, autant dire qu’une brigade de contrôle des résidences secondaires est de l’ordre du rêve : pourtant c’est bien d’évasion fiscale dont il s’agit. Elle se double d’une gonflée mécanique des loyers parisiens. Le vivier de touristes étant inépuisable, à 800 euros ou plus par semaine, les tarifs déconnectés des réalités salariales s’expliquent un peu mieux.

Le proprio accumule les baux courts, gagne bien plus (défiscalisé ou sans le déclarer) qu’en louant à des “locaux” peu à peu parias dans leur propre ville. Il ne prend pas le risque de s’embarrasser à long terme de familles (beaurk) de revenus modestes (rebeuark) et garde la disposition de son appartement à peu près quand il le souhaite, sans même à avoir à se fader la moindre visite.

La pratique d’une poignée est devenue  une mode en trois ans. Au “désolé mais vous n’avez pas les garantis nécessaires” au relent d’aristocrate plutôt embarrassant en ces périodes pré-révolutionnaires, se substitue maintenant un “désolé mais vous n’êtes pas touristes” à la ségrégation plus friendly.

Ci-dessous, l’encart décomplexé de la rubrique “placement raison” d’un “Valeurs Actuelles” du mois dernier, récupéré dans la boite aux lettres de mes voisins virtuels:

Tout va bien dans le meilleur des mondes sauf pour les irréductibles masochistes qui travaillent à Paris. Pour servir nos bienheureux vacanciers, que ce soit pour la tambouille ou les conduire avec béret à travers St-Germain-des-Près au volant de 2CV bleu blanc rouge (véridique), ils doivent s’exiler en 27eme périphérie ou cramer l’intégralité de leur paye dans un loyer pour cage à lapins (si toutefois le dossier est accepté, ce qui n’arrive jamais sans Papa et Maman, encore eux, pour se porter caution).

Je passe sur la Disneylandisation de Paris qu’entraîne l’afflux des cornets deux boules en quête d’une “authenticité” que de leur cocoon surfing et de leurs excursions en tongs Armani à la recherche de cette tarte éthérée d’Amélie Poulain ils contribuent à détruire, ou sur les désagréments quotidiens de la cohabitation avec nos aventuriers du confort en safari chez les fauchés abandonnant sur le pallier leurs poubelles improvisées dans un sac MacDo avant de reprendre l’avion (véridique again). Pourquoi s’embarrasser des coutumes sanitaires de l’autochtone ?

Carte des résidences secondaires à Paris, par Alexandre Léchenet

La pied-à-terrisation concerne également l’achat sec. Là on passe dans une autre dimension, celle de l’hôtel particulier : les surfaces s’agrandissent, les appartements s’achètent par paquet de dix, des quartiers se vident.
Dans les zones de forte tension immobilière, cette pratique doit être interdite ou très fortement taxée. Les aides doivent se concentrer sur les logements sociaux, pour les résidents, et les hôtels, pour les touristes, et non sur une énième défiscalisation aux profits des plus riches qui a pour effet direct d’exclure tous les autres.

J’ai entendu dire que la municipalité se saisissait du dossier. Pour l’instant, on se félicite que Paris soit la capitale des tournages (avec crédit d’impôt) d’une flopée de navets et de nanars à la gloire d’un Paname de magasin de souvenirs“Wait and see” comme on dit désormais ici.

Bonus : la version vidéo du billet.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Article publié initialement sur Les jours et l’ennui sous le titre Peut-on encore habiter Paris #1 : la pied-à-terrisation

Retrouvez les articles d’OWNI sur le logement

Illustration Flickr CC Isodora Cepeda et Luc Legay

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Visite guidée d’une studette parisienne http://owni.fr/2011/04/01/visite-guidee-dune-studette-parisienne/ http://owni.fr/2011/04/01/visite-guidee-dune-studette-parisienne/#comments Fri, 01 Apr 2011 10:43:50 +0000 Seb Musset http://owni.fr/?p=54720 À l’abondante rubrique du WTF de l’immobilier parisien, où la démence spéculative côtoie en toute quiétude le scandale sanitaire, ma dernière expédition dans un deux-pièces des beaux quartiers mérite son entrée au Top 5 des plus belles escroqueries visitées. On ne remplace pas dix ans d’expérience. Ayant rendez-vous à 18 heures, j’arrive à 18h15. Rien ne sert de se presser pour louer. Face au candidat locataire, l’agent immobilier débarque systématiquement un quart d’heure en retard avec comme seule excuse sa nonchalance overbookée qu’il accompagne dans les grands jours d’empathie d’un « hi, hi, la circulation vous savez ce que c’est ».

Ils sont vingt-cinq alignés en rang d’oignon contre le mur ombragé de la jolie rue sans vie de l’arrondissement à la pierre précieuse. Ils ont entre 25 et 40 ans, une chemise cartonnée de couleur sous le bras avec deux élastiques. Au terme des dépôts de garantie, des pièces à conviction et, bientôt, des analyses ADN à livrer : un seul vaincra, peut-être. Pour le moment, ils s’ignorent, perdus dans la consultation de leur jouet (taux de pénétration de l’appareil Heil Phone sur ce côté de la rue : 90%). Moi j’ai un Nokia tout pourri des années 2008, obsolète, mais, au bout de 30 secondes, je reçois un appel avec quelqu’un qui me parle au bout et ça, ça en jette.  On s’estime, on se scanne, on se jauge.

Chacun tapisse la honte d’avoir encore à patienter pour se loger à son âge de sa réconfortante sérénité de jeune précaire rompu à la galère. Chomdu, malbouffe, précariat et études refuges, au fil des déconvenues, chacun ici a développé une contemplative méditation sociale qui en a fait un esprit tolérant, lumineux, mature et inspiré. Hey, putain les mecs, vous êtes fiers de vos groles de Bozo ! Merde ça a rime à quoi ces ridicules chaussures à pointe en faux cuir pour commercial en stores ! Oui, le candidat est un loup pour le prétendant. Vaine tentative de déstabilisation, revenons à nos moutons.

J’ai des principes. D’habitude, je ne me déplace jamais pour ce genre d’annonces publiées sans photo, estimant qu’avec des « frais d’agence » tournant entre 1.000 et 1.500 euros, ces abuseurs de maman pourraient s’acheter un Coolpix à 150 euros et cracher au prétendant un ou deux .jpeg. Mais non, à l’heure des écrans et des images partout, tout le temps, à Paris l’annonce immobilière illustrée reste encore l’exception.

Tout y est « joli », « charmant » ou « proche métro »

Trop en montrer serait explicitement revendiquer l’escroquerie, une sorte de flagrant délit pictural sur des offres oscillant entre offense et indécence. Limite ça pourrait foutre la honte à l’agence, tu vois ? Il faut donc capitonner les annonces. Tout y est « joli », « charmant » ou « proche métro » (grosse méfiance quand tu retrouves les trois ensembles). Sur la vitrine de l’agence, les loyers élevés rassurent les investisseurs. « Si ça se loue à ce prix là, dit Simone à Robert venant d’empocher l’héritage de l’arrière-grand-père net d’impôt, c’est qu’il faut acheter pour louer encore plus cher ! » Matériel publicitaire pour la bulle spéculative, en attendant que ça krache, les prix élevés à la location contribuent à maintenir artificiellement la cote (nous constatons sur Paris que de plus en plus d’ annonces de location tournent des mois sans trouver preneur).

Ce n’est donc que lorsque le candidat à la loc’ appelle l’agent pour convenir d’un rendez-vous que le ton se durcit. Il passe un premier casting téléphonique à la sauce “nouvelle star”, à base de “vous avez des garants qui sont propriétaires” et « vous gagnez 3,3 X le montant du loyer ». Après les mensonges d’usage, le candidat décroche enfin le rendez-vous et peut découvrir la réalité immobilière de la location parisienne : les  « immeubles modernes » datant de 1910, les 3 pièces se transformant en 2 pièces, les 2 pièces virant duplex, des duplex devenant studios aux charges qui doublent. S’ajoutent, quelques douceurs sur le cake à pognon : des frais divers plus ou moins légaux (trimestres payables d’avance, état des lieux payant, taxes diverses…).

Mais bon, bref, nous n’en sommes pas encore là. Il fait beau, je suis de bonne humeur, et de toutes les façons on va tous crever à cause d’une overdose de panaché, donc me voilà comme un niais à faire la queue avec les autres alléchés par l’annonce :

2 pièces atypique 50m2 dans charmant immeuble de standing. Joli appartement. en partie mansardée. Très clair au 4ème étage sans ascenseur. Accès entrée par petit escalier intérieur. Un séjour avec cuisine équipée. 1 chambre. Salle d’eau avec WC. Parquet. 1170 euros. Honoraires 1170 euros.

18h20. Après avoir renversé trois poubelles, un Vélib’ et deux poussettes pour se garer de travers sur une place handicapé avec sa Smart cabossée, l’agente arrive enfin :

- Hi, hi, c’est compliqué de se garer dans ce quartier. Bon on va vous faire rentrer 3 par 3 ce sera plus simple.

Rupture d’ambiance. Terminée la neutralité bienveillante. Chacun n’épie plus figé la coque amovible du mobile d’autrui (j’aime beaucoup cette phrase). Les candidats passent en phase « c’est moi le premier ».  À la suite de l’agente aux clés, la procession des déclassés grimpe l’escalier du  « charmant immeuble de standing ». Premier étage, une société sans salarié. Deuxième étage, une société sans employé. Là, un cabinet d’avocats, spécialiste en immobilier. Là, un dentiste fermé. Ah, Paris… son brassage de population, sa mixité sociale et son dynamisme ! L’ascension se poursuit sur six étages et non sur quatre comme mentionné. Et, six étages d’un  « charmant immeuble de standing parisien », ça veut dire douze en langage de terrien. Les larges marches en bois usé de ces bâtisses antiques cirées jusqu’à l’abus du lisse compromettent l’odyssée, surtout celle des hommes en chaussures en faux cuir à pointe qui dérapent dans les virages. À l’aube du sixième niveau, on tousse, on halète, les étudiants les plus endurants tablent déjà sur quelques défections féminines. On entend des plaintes en espagnol, en bavarois et même en japonais. Mais rien n’y fait, toutes tiennent bon. Ils atteindront le pied-à-terre promis.

Je m’agrippe à la barre, de plus en plus branlante au fil de la montée. Les murs s’assombrissent, s’auréolent d’humidité, les matériaux semblent maintenant de moins bonne qualité. Je tente d’en décourager quelques-uns en lançant un  « nous n’aurions pas du tous grimper en même temps, la rampe va céder » dont l’écho de terreur file sur la cuirasse en titane des soldats de  seloger.com comme une soirée électorale de défaite UMP sur TF1. Les marches étroites resserrent les sueurs des aspirants locataires. On ne peut désormais plus faire marche arrière, sans entraîner la glissade générale. La conquête du dernier niveau se joue sur un ajout rouillé : un escalier de service en colimaçon, modèle phare de l’angoisse. En cas d’incendie, pour les habitants de ces lieux qui, à l’instar de la vétusté de leurs installations électriques, atteignent des sommets, c’est le gage d’un bon barbecue où ils feront office de pigeons braisés.

Dernier étage : un parterre de poussière sous les toits fleurant bon le courant d’air continu l’hiver et la cuisson à l’étuvée dès le 1er mai. Ceci explique mieux le label « Bah on sait pas » du bilan énergétique publié sous l’annonce.

« Nous y voilà » fanfaronne l’agente. Vous allez voir c’est atypique. »

Appelle-nous jeunesse aux rêves plats, mais, dans cette capitale où tout est facilement  « atypique », on en vient à souhaiter du quelconque : une cuisine, des vrais WC, un lit qui ne soit pas à plier, un loyer à trois chiffres. La porte d’entrée se confondrait aisément avec celle du vide-ordures si seulement l’immeuble disposait d’une telle technologie. Le dormant de la porte en balsa écrête à 1m50 et il faut littéralement se plier en deux pour le passer. «Atypique » en effet. Mal foutu eût été plus à propos. Mais il faut en plus pour flétrir les durs à cuire de ma génération rodés à bosser pour rien, vivre à genoux, bouffer du Lideule et mater du Carré Viip en se lamentant sur le Net que la télé c’est trop abusé ! Ayant laissé ma place aux quinze premiers, je ne perçois des premières visites que pouffades et échos agacés.

Vim Diesel, en blouson de motard, sort de là avec sa Michelle Rodriguez.
« – Non mais c’est une blague !
- Je t’avais dit que c’était un loi Carrez. »

Jean-Gonzague, thésard en tubulure de la structure séquencée des théorèmes du têtard, prend ça avec philosophie :

«- C’est mignon. »

Le Schpountz 2.0 monté à la ville pour son CAP MacDo y va franco :
« – ‘Té, c’est de la merde ! À ce prix-là chez moi, j’ai une ferme avec le tracteur et les vaches ! »

Les comptes-rendus détendent l’atmosphère, désintoxiquant la cage d’escalier de son taux de compétition. N’empêche, j’ai attendu dix minutes, gravi l’Annapurna au péril de ma vie sur des marches O Cedar : pas question de céder à l’orée du repaire des Minimoys. C’est mon tour. Je suis accompagné de deux baraques allemandes, Zadig et Micromegas. Et c’est tout naturellement que nous pénétrons à quatre pattes, tel le centipede [en], dans l’appartement proposé à la location à un tarif avoisinant celui du salaire médian.  Entrée en matière avec un premier coup de boule dans une poutre : si près du Panthéon et pas de place pour les grands hommes. L’étape éliminatrice de la porte d’entrée franchie, les grands gaillards ne se laissent pas émerveiller par le parquet stratifié flambant neuf, ne succombent pas l’enivrement des senteurs de peinture fraîche (hou la la au moins 200 euros de travaux) et surtout, surtout, prennent garde au dénivelé. L’appartement (enfin ce qu’à ce stade nous croyons encore être un appartement) se situe 60 centimètres en contre bas de la porte d’entrée. Ce truc en moins, c’est le petit plus. Va savoir, les soirs de forte pluie, le locataire sélectionné (après présentation d’un dossier validé par le FMI) bénéficiera peut-être d’une piscine sous les toits. Ce qui, tu en conviens, est le comble du luxe parisien.

A notre droite, là où l’agente attend la remise des dossiers, sa rente et ses honoraires, se situe une « pièce » de 5m2. Espace inutile et inutilisable, dans l’épingle à cheveux, séparant le tunnel de passe-partout de son appartement ou, plutôt, de son sarcophage pyramidal à la gloire du pharaon tout-en-arnaque : « mansardé » étant, de loin, le moins mensonger des mots du message.

Zadig, Micromegas et moi sommes pris d’effroi. Nous appréhendons bien mieux les commentaires désabusés de Diesel à sa belle. Nous sommes ici en présence d’une double “chambre de bonne” en enfilade sous un toit en pointe. Les 50m2 au sol correspondent au final à un 22m2, « habitable » sur sa seule longueur centrale. Enfin… à condition de faire moins d’un 1m60. Je ne peux pour ma part me déplacer que sur un espace correspondant à la largeur de mes bras tendus, le long des 7 mètres reliant la cuisine (où il convient de faire bouillir ses pâtes accroupi) à la « suite parentale » (où le « vivons heureux, vivons couchés » n’est pas une phrase en l’air). Je ne sais pas trop ce qu’en pense Zadig, mon collègue berlinois. Culminant à 2m03, sa tête sort de l’appartement par la fenêtre de toit :

ZADIG face en offrande aux fientes.

Was ist das ?

Non, honnêtement, c’est étriqué. La seule pièce verticalement vivable reste « la salle d’eau » et ça n’a rien de Versailles. Dans ce réduit de 4m2, il faut enjamber les toilettes (sans passer à travers) pour se doucher. Problème si l’on peut s’y laver en longueur, on ne peut s’y soulager en largeur : toute personne présentant un ratio taille / poids hors des critères de la double page centrale d’Anorexia magazine n’aura qu’à aller faire caca chez l’avocat. Et si d’aventure, le prétendant un peu enveloppé réussissait son entrée dans « la salle d’eau », il prendrait le risque de ne plus pouvoir s’en extirper. Ce qui, à cette altitude dans l’immeuble inhabité et pour peu qu’il ait oublié son heil-phone sur la table (basse forcément), peut vite virer au faits-divers de merde.

L’agente :

Vite, vite je suis pressée : j’ai pas mis de ticket à ma Smart !

Et radine avec ça. L’aller-retour de la cuisine à la chambre est expéditif. Zad et Micro, pas plus que les visiteurs d’avant ni ceux d’après ne déposent de candidature. Même avec des chaussures de clown, on a encore un semblant de dignité. Et parlons chiffres : je suis formel, un autobus blindé de rugbymen est plus spacieux. Avant d’être inlouable, la chose est d’abord inhabitable au-delà de l’âge de 7 ans. Redescendant en rappel avec mes camarades d’infortune, j’en viens même à me demander quel esprit débile, possédé par l’appât du gain, la Leroy-Merlinmania et la folie des grandeurs inversée, a pu investir pour refaire à neuf cette chose de haute altitude qui, au mieux, se prête pour dépanner. Ce mètre carré hors de prix du centre de Paris ne vaut objectivement rien.

On y a oublié une chose : l’humain.

> Article publié initialement sur le blog de SebMusset sous le titre Paris : l’immobilier en pointe

> Illustrations Flickr CC Xo-Mox, Rafaël Garcia-Suarez et Fred Panassac


> Vous pouvez retrouver l’ensemble du dossier logement avec Les ghettos de riches mettent les pauvres au ban, Cherche HLM dans le 16e arrondissement et Se sentir “chez soi” à Paris.
Crédit photo Guillaume Lemoine CC-BY-NC-SA et design par Ophelia

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