OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 “L’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden” http://owni.fr/2012/11/07/internet-arabe-etait-percu-comme-internet-de-ben-laden/ http://owni.fr/2012/11/07/internet-arabe-etait-percu-comme-internet-de-ben-laden/#comments Wed, 07 Nov 2012 14:10:18 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=125133

Tout et son contraire a été dit, écrit, décrié, affirmé, à propos du rôle des réseaux sociaux dans les révolutions arabes. Nettement moins sur l’Internet arabe avant la chute de Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi et des mouvements révolutionnaires qui contestent depuis l’hiver 2010 les régimes en place partout au Moyen-Orient.

Yves Gonzalez-Quijano revient sur ces deux moments dans son ouvrage Arabités Numériques, Le printemps du web arabe. Universitaire arabophone et traducteur, il scrute l’Internet arabe (plutôt l’arabisation d’Internet) et en rend compte, entre autres, sur son blog Culture et Politique Arabes dont les articles ont parfois été repris sur Owni.

Personne n’avait vu venir les soulèvements arabes. Personne n’avait vu venir les jeunes des pays arabes sur Internet non plus. Il y avait pourtant des signes. A la fin des années 1990, un groupe tunisien connu sous le nom de Takriz lance une liste de diffusion sur laquelle circulent des informations alternatives. L’un des membres, Zouhair Yahyaoui (Ettounsi sur les réseaux) devient en 2002 l’un des premiers cyberdissidents arrêté et emprisonné en Tunisie pour son activisme en ligne, presque dix ans avant les révoltes de 2011. Triste symbole.

Marchés de substitution

Dès le début des années 2000, alors que la bulle Internet venait d’éclater, “les pays émergents en général, et ceux du monde arabe en particulier, offr[ent] des marchés de substitution grâce auxquels les industries mondialisées de l’information de la communication pouv[ent] continuer leur croissance”, note Yves Gonzalez-Quijano. Apple, qui proposait des produits arabisés dix ans plus tôt mais a abandonné la voie, est doublé par Microsoft et le multilinguisme d’Internet Explorer.

A la technique s’ajoute une idéologie nationaliste arabe qui veut son industrie du logiciel. Les initiatives de développeurs arabes, notamment en Jordanie, se multiplient. Avec certains succès, comme Maktoub, lancé en 1998 et racheté dix ans plus tard par Yahoo!. Dernier élément : l’envie. “L’arrivée d’Internet dans le monde arabe a été un appel d’air” explique le chercheur à Owni :

Internet, c’est le culte du cargo. Le savoir est accessible immédiatement, il vous tombe presque dessus, tout en échappant au contrôle social de la famille ou de l’entourage. C’est un peu comme lire sous les draps…

Révolutions interconnectées

Au milieu des années 2000, l’Internet a changé, il est moins austère, plus tourné vers l’utilisateur (user friendly). C’est le temps du web 2.0, la grande époque des blogs. Viennent les réseaux sociaux, plus compatibles avec le son et l’image. Avant l’irruption de l’Internet arabe dans les agendas médiatique et politique, avaient eu lieu plusieurs révolutions, écrit Yves Gonzalez-Quijano :

On est en présence non pas d’une seule et unique révolution, celle des réseaux sociaux dont l’extension frappe tellement les esprits aujourd’hui, mais bien de trois ou quatre, successives et interconnectées.

Comment les observateurs du monde arabe ont-ils pu ignorer ce phénomène, l’émergence de cet Internet arabe, ou plutôt l’arabisation d’Internet ? Le chercheur évoque plusieurs pistes dans son livre. ”Un blocage culturel, un exotisme orientaliste en quelque sorte, empêchait d’associer Internet et arabe” résume-t-il. Les rapports sur l’utilisation d’Internet dans la région se concentrent sur la répression, sur la censure. Ce qui a “contribué à ancrer dans les esprits la conviction que l’Internet arabe avait encore devant lui un très très long chemin à parcourir avant de pouvoir exister de plein droit et de contribuer au changement”

L’Internet de Ben Laden

Le comportement des potentats locaux est pourtant plus ambivalent. “Moubarak était perçu comme un tyran rétrograde. Tyran il l’était, mais pas rétrograde ! corrige Yves Gonzalez-Quijano. Beaucoup ont refusé de le voir.” L’Égypte est le premier État arabe à nommer un ministère aux technologies de l’information et de la communication.

Dernier biais : quand elle ne se concentre pas sur la répression, les études des années 2000 échouent sur un autre biais, la (cyber) pieuvre islamiste. La peur panique de l’islamisme après 9/11 “a fortement contribué à faire en quelque sorte ‘disparaître des écrans’ l’activité numérique arabe, totalement recouverte par une nouvelle catégorie, celle du ‘web islamique’, sujet d’un bon nombre d’études” note le chercheur, qui résume à l’oral :

En somme, l’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden.

Une perception qui a volé en éclat avec les soulèvements de 2011. Le Printemps arabe “a au moins eu cette vertu d’ôter un peu de leur crédibilité aux commentaires inquiets sur les risques du cyberjihad” écrit Yvez Gonzalez-Quijano.


Photo d’Alazaat [CC-by]

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Assange interroge les révoltes arabes http://owni.fr/2012/05/08/assange-interroge-les-revoltes-arabes/ http://owni.fr/2012/05/08/assange-interroge-les-revoltes-arabes/#comments Tue, 08 May 2012 09:15:30 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=109489

Nouvelle interview de Julian Assange sur RT, anciennement Russian TV, la télévision proche du Kremlin. Pour le quatrième épisode de “The World Tomorrow”, le fondateur de WikiLeaks a choisi d’interroger deux activistes arabes, l’Egyptien Alaa Abd El-Fattah et le Bahreïni Nabil Rajab.

Samedi, Nabil Rajab, régulièrement harcelé par les forces de sécurité, a été arrêté, probablement en raison de la diffusion aujourd’hui de son interview aujourd’hui a avancé WikiLeaks. L’organisation a décidé de la maintenir et d’en profiter pour attirer l’attention sur la répression des activistes au Bahreïn. L’organisation de Julian Assange proposait dès dimanche aux médias intéressés une transcription de l’interview, réalisée le 29 février.

La révolution en cours au Bahreïn

Après le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, pour la grande première, le conservateur américain David Horowitz et Slavoj Zizek pour le deuxième épisode, le président tunisien Monzef Marzouki pour le troisième, “The World Tomorrow” poursuit sa plongée dans le monde arabe.

À l’exemple tunisien, “sans doute le plus fructueux” dit Assange, s’oppose l’Égypte dont “le gouvernement n’est pas exactement tombé pour l’instant” commente l’activiste Alaa Abd El-Fattah. Et surtout le Bahreïn qui “n’est pas un échec” pour Nabil Rajab, car la révolution “y est encore en cours” :

Elle a un prix et nous devons payer ce prix. Le coût sera peut-être très élevé, nous avons déjà payé beaucoup mais nous voulons continuer afin d’obtenir les changements pour lesquels nous nous battons. (…) Beaucoup ont été tués comparé à la population du pays [Environ 1,2 million, NDLR], beaucoup plus qu’en Égypte ou en Tunisie. Le nombre de personnes emprisonnées aussi est bien plus élevé par rapport à la population. Des gens ont été renvoyés de leur travail, des gens ont été torturés systématiquement, des gens ont été tués, des mosquées détruites, des maisons mises à sac…

Dans ce panorama moyen-oriental, où Assange s’étonne d’entendre de la musique au début de l’interview réalisée par Skype – “l’appel à la prière” corrige Alaa Abd El-Fattah en direct du Caire – le fondateur de WikiLeaks interroge longuement ses deux invités sur leur passé, leur parcours de militant, mais aussi sur ses lubies : l’impérialisme américain et l’hacktivisme (et sa sainte trinité Facebook, Twitter, WikiLeaks ; Amen).

À propos de l’oncle Sam, Assange demande à ses invités s’ils sont d’accord avec les néo-conservateurs américains. L’invasion américaine en Irak fut-elle le printemps qui annonça neuf ans plus tard les révolutions arabes ? Non, répondent à l’unisson les deux activistes. Nabil Rajab :

Hé bien, c’est assez drôle. Les Américains n’étaient même pas préparés à ces révolutions en Tunisie et en Égypte. (…) Ils n’ont pas soutenu la révolution égyptienne de la même façon qu’ils ne l’avaient pas soutenue en Tunisie. Quand ils ont réalisé que c’était un fait, qu’elle allait se produire avec ou sans eux, ils ont été forcés de se positionner, au risque de faire de ces nouveaux gouvernements des ennemis dans le futur. (…) Ces régimes dictatoriaux répressifs ont été soutenus et renforcés toutes ces années par les Américains. Ils étaient leurs agents dans notre région. (…) Aujourd’hui, les Américains sont contre la démocratie au Bahreïn.

Même refus pour Alaa Abd El-Fattah, pour qui l’invasion américaine a pu jouer un rôle dans le déclenchement des révoltes arabes, mais pas dans le sens que Dick Cheney prétend :

[L'invasion américaine en Irak] a définitivement retiré la dernière once de légitimité aux régimes arabes qui n’ont pas réussi à protéger l’Irak.

Et de rappeler les manifestations en opposition à la guerre en 2003 au Caire, vivement réprimées, qui s’étaient retournées contre Moubarak, potentat jugé trop atlantiste.

Critique de l’impérialisme donc, mais aussi de théories plus ou moins étayées sur les véritables causes de ces révoltes. En creux, les deux activistes réfutent la thèse d’un soutien de Washington par fondations interposées, comme la National Endowment for Democracy (NED) qui a financé Canvas en Serbie, où avaient séjourné des membres d’un groupe d’activistes égyptiens quelques temps avant la révolution.

D’autant que le NED est soupçonné d’avoir également financé le Bahrain Centre for Human Rights auquel appartient Nabil Rajab. Lui dément avoir reçu le moindre dollar du gouvernement américain. En revanche, il reste plus évasif sur les dollars de la société civile, quel qu’en soit le pays d’origine et son circuit, fût-ce via d’éventuelles fondations destinées à leur ôter toute couleur politique.

Les récits des révolutions

Pour Washington et sa secrétaire d’État Hillary Clinton, les révolutions ont été victorieuses grâce “à deux grandes entreprises américaines, Twitter et Facebook” lance Julian Assange, cabotin, avant de partir d’un rire partagé avec ses invités. Une apostrophe certes, qui permet tout de même à l’activiste égyptien de développer sa pensée sur le rôle, tant commenté, des réseaux pendant la révolution.

La révolution se joue tant dans les rues que dans les récits qui en sont fait, explique-il. Dans cette concurrence des récits de la révolution, quelle est vraiment la place, si disputée, de la génération Facebook ? Il répond, lucide et introspectif :

Ces jeunes gens aisés de la classe moyenne, très éduqués, connectés à Internet, ont joué un rôle important dans la révolution et ils ont été, pour des raisons tout à fait tactiques, les symboles de la révolution. On avait besoin que le monde entier aime cette révolution égyptienne ! (…) Hillary Clinton ne défendait pas seulement les entreprises américaines, elle défendait un récit écrit pour arrêter la révolution, pour ne pas qu’elle aille plus loin que Moubarak. Mais Twitter et Facebook ont quand même été très utiles.

Le Bahreïn offre un autre visage de l’hacktivisme. Non seulement parce que le Bahreïn est “le pays le plus actif sur Twitter dans le monde arabe”, mais parce que le gouvernement aussi est l’un “des plus intelligents dans son utilisation” des réseaux sociaux détaille Nabil Rajab. Selon lui, le gouvernement emploie des entreprises de relations publiques pour gérer son image sur les réseaux et diffuser sa propagande. Des community managers de la famille régnante du Bahreïn, la famille Al-Khalifa, qui “créent une fausse opinion publique, la trompent, montrent une réalité différente de celle qui existe réellement dans le pays.”

Le gouvernement du Bahreïn a essayé d’apprendre et riposte en utilisant les mêmes outils.

Le cyberutopisme semble bien loin et le scepticisme d’Eygeny Morozov plus que jamais d’actualité : les hacktivistes utilisent les réseaux sociaux, les dictatures aussi. Pour diffuser de la propagande, pour surveiller la population comme les exemples libyen et syrien ont achevé de le démontrer. La répression existe, déplore Nabil Rajab, elle est terrible (“des activistes sur Twitter ont été emprisonnés, certains torturés à mort”) mais au moins, de plus en plus de personnes investissent les réseaux sociaux et Internet, même sa mère – et celle d’Assange s’empresse d’ajouter celui-ci.

Comme à son habitude, le fondateur de WikiLeaks a joué de sa proximité avec les activistes, en raison des ennuis judiciaires qu’il connaît.

Alaa Abd El-Fattah : Alors dans quel pays vas-tu être emprisonné ?

Assange : Hé bien, c’est une question intéressante… En ce moment, assigné à résidence au Royaume-Uni, peut-être un peu en prison ici aussi, peut-être emprisonné en Suède, et peut-être aux États-Unis. Et toi, Bahreïn ?

Nabil Rajab : Je peux vous proposer le Bahreïn.

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La marche égyptienne sur YouTube http://owni.fr/2012/01/31/marche-egyptienne-sur-youtube/ http://owni.fr/2012/01/31/marche-egyptienne-sur-youtube/#comments Tue, 31 Jan 2012 12:27:29 +0000 Brice Lambert et Marion Lippmann http://owni.fr/?p=96475 La photo d’un soldat tabassant un civil flotte dans les airs. Entourées d’une centaine de personnes, deux jeunes femmes brandissent fermement l’image. Une passante, choquée, fonce sur elles et hurle :

Partez, partez ! On ne veut pas de vous ici !

Vendredi, 19 heures, sur la place du marché d’Ard El Lewa, un quartier populaire de Gizeh, l’ambiance est électrique. Un écran, érigé au centre de la place, diffuse des vidéos de militaires qui brutalisent des civils. Certains piétons, intrigués, s’arrêtent pour regarder. D’autres, anxieux, préfèrent passer leur chemin. De grosses enceintes diffusent un son puissant, qui peine a masquer les bruits des cafés et des vendeurs d’oranges.

Menteurs

Depuis trois semaines, des dizaines d’événements semblables investissent les rues du Caire, d’Alexandrie ou d’Assiout. Tous relèvent de l’initiative “Kazeboon”, comprendre “Menteurs”. Le projet est simple : organiser des projections de vidéos sur la voie publique pour attiser la curiosité des passants et “rétablir la vérité” sur les confrontations entre civils et militaires. Désormais, la révolution se joue à coup de vidéo-projecteurs et de clips estampillés YouTube.

Après la diffusion d’une vidéo par le Conseil suprême des forces armées (CSFA) montrant des civils en train de défoncer consciencieusement un bâtiment, des jeunes ont réagi à ce qu’ils considèrent comme une manipulation en projetant à leur tour des vidéos chocs. Au détour des rues du Caire, des écrans montrent ainsi des militaires armés qui tirent sur des jeunes, qui asphyxient les manifestants à la lacrymo ou qui frappent à coups de bâton des femmes à terre.

Sur la place du marché, la tension monte et les débats sont passionnés. Les slogans volent, les insultes aussi. “A bas le CSFA !”. “Taisez-vous, c’est vous les menteurs !”. “Arrêtez avec vos bêtises, laissez-nous vivre en paix !”, lance un père accompagné de ses enfants. Mais la vingtaine d’organisateurs ne se laisse impressionner ni par l’hostilité de certains passants furieux, ni par le risque de représailles de l’armée. “Je ne céderai pas à la peur, car il faut bien que certains d’entre nous agissent” assure Wahel Mohamed, l’un des responsables de l’initiative.

Il sait pourtant que rares sont ceux qui restent assis pendant le générique dans ce genre de projections. Celle organisée quelques jours auparavant à Zamalek, un quartier huppé du Caire, avait par exemple dû être interrompue après seulement quelques minutes de diffusion, une dizaine de personnes ayant provoqué une bagarre au tout début de la séance. “Probablement des personnes payées par l’armée ou la police” suppose Ahmed El Lozy, journaliste et organisateur de l’événement.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un an jour pour jour après les premiers soubresauts de la révolution égyptienne, initiée le 25 janvier 2011, le climat politique est à l’orage. Un fossé s’est en effet creusé entre les Égyptiens qui ne soutiennent plus la révolution et qui souhaitent un retour au calme et la minorité qui continue de manifester inlassablement pour réclamer le transfert du pouvoir aux civils. Et si les incidents entre manifestants et passants se multiplient lors des marches organisées dans les rues du Caire pour appeler les citoyens à se soulever, certains activistes admettent avoir une part de responsabilité dans ce rejet. Ahmed El-Lozy :

Nous ne sommes pas des criminels, c’est un mensonge du Conseil suprême des forces armées. Mais nous n’expliquons pas assez aux gens ce pour quoi nous nous battons. La seule chose qu’ils retiennent, ce sont les embouteillages que nous générons. Par ailleurs, les blogs, Twitter et Facebook, c’est très bien, mais les gens qui s’y intéressent sont déjà acquis à nos idées. Or, il est vain de se battre pour un état de droit si le peuple n’est pas derrière nous.

Pour renouer le lien avec la population, les activistes ont donc décidé de faire descendre YouTube dans la rue et de privilégier les actions de proximité. Dans les quartiers populaires, où l’accès à Internet est encore rare, des projections publiques sont organisées. Dans les quartiers plus riches, des DVD gravés sont distribués afin de permettre aux habitants de les visionner en toute discrétion. Des Comités de défense de la révolution sont présents dans chaque quartier du Caire.

Leurs membres vont à la rencontre des habitants, pour expliquer leurs revendications. “Souvent, lorsque ces gens réalisent qu’ils connaissent l’un des manifestants de la Place Tahrir, ils mettent un visage sur notre mouvement et cessent de nous voir comme une masse d’excités”, explique Wahel Mohamed, qui participe au Comité du quartier d’Ard El Lewa.

Les habitants eux-mêmes sont incités à devenir acteurs du mouvement : la page Facebook de Kazeboon appelle toute personne ayant été témoin de violences militaires à partager ses documents. Et l’initiative prend de l’ampleur, dépassant mêmes les frontières. Depuis deux semaines, Londres, Rome, Paris et les grandes villes américaines ou canadiennes ont vu débarquer sur leurs murs les vidéos de « Kazeboon ». Aucune n’était hébérgée sur Megavideo.


Initialement publié sur The Ground sous le titre Egypte : la révolution sera télévisée
Photos par Marion Lippmann et Brice Lambert, au Caire, Égypte.

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La révolution graphique égyptienne http://owni.fr/2011/12/22/la-revolution-graphique-egyptienne/ http://owni.fr/2011/12/22/la-revolution-graphique-egyptienne/#comments Thu, 22 Dec 2011 16:57:21 +0000 Yves Gonzalez-Quijano http://owni.fr/?p=89521 Après les élections, “on continue” (moustamirroun) disent, par le biais d’un efficace raccourci visuel, les militants du mouvement du 6 avril, un groupe créé en avril 2008 (cf. billet de l’époque), au cœur – sur la Toile et dans la rue – des luttes qui ont conduit à la chute de Moubarak. Le message passe sur les réseaux sociaux et leurs flux numériques bien entendu, mais aussi, à l’image de ce qui s’est produit depuis le début des luttes, sur les murs de la ville.

Source de nombreux reportages photographiques, la créativité de la révolution égyptienne – souvent marquée par cet humour national qui reste, aux yeux de bien des Arabes, une spécialité locale – a fait de la ville son théâtre, avec la place Tahrir pour scène centrale. Les militants ont pris possession de l’espace urbain, au sens propre du terme, en inscrivant leurs slogans et leurs images sur les murs des lieux publics. Fort à propos, la Casa Arabe de Madrid vient de monter une exposition sur ce thème : quelques images sont visibles sur leur site.

Il s’agit bien d’une lutte de terrain, avec des créateurs militants qui s’organisent en commandos, en général nocturnes, pour installer leur production dans des endroits retenus pour leur caractère stratégique : un lieu particulièrement passant bien entendu, mais également un endroit marquant les limites du territoire “sous contrôle” de l’insurrection. De leur côté, les forces “du maintien de l’ordre” comme on les appelle en français décident ou non de fermer les yeux, en fonction de la situation.

La première vague de mobilisation en janvier dernier a ainsi été marquée par une intervention graphique de Ganzeer en hommage à Islam Raafat, “reportage” photographique ici, une des premières victimes de la révolution. Tout récemment, les “événements de la rue Mohamed Mahmoud”, juste avant les élections, ont été précédés par l’arrestation de plusieurs “artistes”. Comme le Code civil égyptien n’a pas prévu ce type d’infraction, les fauteurs de trouble doivent être poursuivis sous différents prétextes, à l’image de Ganzeer, encore lui, arrêté pour avoir “dressé un drapeau portant atteinte à la sécurité publique” ! En règle générale, ils finissent par être rapidement relâchés, éventuellement sous caution…

Leur liberté, ils la doivent aussi à leur présence sur la Toile, en particulier dans les réseaux sociaux qu’ils savent mobiliser quand ils sont en danger. Graphistes, designers, artistes multimédias, les activistes de la révolution graphique égyptienne ont mis leur savoir-faire professionnel au service des luttes politiques. Naturellement, ils utilisent les techniques numériques pour médiatiser leur combat, mais également pour créer une bibliothèque virtuelle, largement collective, de ressources iconographiques qui sont ensuite reprises, ou non, par les manifestants à travers des formules visuelles reproduites sur les murs mais aussi sur les pancartes des manifestants, sur les T-shirts, etc.

Au centre du discours de mobilisation durant ce qu’on a appelé la « seconde  révolution » de Tahrir, tout récemment, on trouve ainsi un slogan, transmis par internet, Koun maa al-thawra (كن مع الثورة: “Sois avec la révolution”), une formule graphique et linguistique dont on comprend mieux la pertinence grâce à un très bon billet (publié par Mashallah News, en anglais) dans lequel son auteur, Mohamed Gaber donne une idée de l’imbrication complexe entre vocabulaire linguistique et éléments plastiques, tout en soulignant utilement la dimension historique de la mobilisation graphique en Égypte.

En effet, cette mobilisation ne date pas de la révolution égyptienne. Au contraire, elle a accompagné l’opposition politique qui s’est exprimée avec toujours plus de force depuis au moins 2008, peut-être même 2005 si l’on considère que c’est l’ouverture d’un espace virtuel d’expression et d’opposition, notamment avec les blogs de journalistes citoyens, qui a ouvert la voie aux changements de l’année 2011.

Il n’est pas sans intérêt non plus de savoir que le graffiti protestataire trouve son origine, au Caire, dans les milieux des ultras du football, ceux-là même dont l’expérience des combats de rue avec la police locale, a été décisive en certains moments d’affrontement, pour préserver l’occupation de Tahrir en janvier dernier, et tout récemment lors des affrontements de novembre. De même, la diffusion d’un manuel de lutte urbaine, accompagné d’illustrations efficaces, semble bien avoir joué également un rôle important. On notera d’ailleurs que son auteur a parfaitement conscience des limites du support informatique, et qu’il prend soin de rappeler aux utilisateurs potentiels de ne pas le diffuser via Facebook ou Twitter, surveillés par la police…

Comment transformer la révolte virtuelle – à la fois “potentielle” et “numérique” – en soulèvement populaire ? Les interventions graphiques qui ont accompagné la révolution égyptienne apportent leur réponse à cette question centrale pour les mouvements oppositionnels en donnant un exemple de la manière dont les virtualités des flux numériques peuvent prendre corps dans la réalité physique de l’espace urbain, sur le concrete (béton) des murs du Caire !


Article initialement publié sur le blog d’Yves Gonzalez-Quijano, Culture et politique arabes, sous le titre : Virtual and concrete : petite contribution à la création graphique de la révolution égyptienne”.

Photos et illustrations : Sauf la numéro 2, photos de graffiti par Hossam El Hamalawy via Flickr [cc-byncsa] sélectionnées par Ophelia Noor pour Owni /-)

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L’Afrique, berceau de la bidouille http://owni.fr/2011/10/11/lafrique-berceau-de-la-bidouille/ http://owni.fr/2011/10/11/lafrique-berceau-de-la-bidouille/#comments Tue, 11 Oct 2011 10:28:21 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=82154

[Tous les liens de cet article sont en anglais, sauf mention]

Même pas une dizaine : les hackerspaces, lieux de rencontre pour les hackers, ces gens qui font usage créatif des technologies, sont quasiment absents de l’Afrique. Ils fleurissent pourtant dans le reste du monde, dans les pays occidentaux, mais aussi en Amérique du Sud ou en Asie.

Une situation qui devrait vite évoluer, à en juger par le succès du dernier Maker Faire Africa, qui, sur le modèle de ses cousins occidentaux, a rassemblé la semaine dernière des centaines de makers (« faiseurs », adeptes du Do It Yourself ou DIY, « fais-le toi-même », communauté proche des hackers) de tout le continent au Caire, en Égypte. « Il y a eu un énorme enthousiasme, explique Emeka Okafor, un des organisateurs. Cela seul montre qu’il y a un appétit pour les hackerspaces et les makerspaces. »

Une effervescence qui augure de lendemains qui bricolent sur le continent, tant le terreau est fertile : sous-développement économique oblige, le DIY n’a rien d’une lubie pour geek embourgeoisé, c’est un passage obligé. « Ici en Afrique, les gens inventent vraiment et construisent des choses à partir de rien, analyse Tarek Ahmed, qui vient de créer Cairo Hacker Space. En Europe et aux USA, les hackers ont plus de chance, ils n’ont pas à se soucier de tout un tas de choses. »

Des hackers qui s’ignorent

Plusieurs facteurs expliquent une présence pour l’instant timide.

Hello Sabine I’ve got intermittent Internet.

C’est ce que m’a répondu Emeka à ma demande d’interview par Skype. Le succès du cyberactivisme dans les pays du Maghreb ne doit pas faire oublier la mauvaise qualité de la connexion. En clair, un hackerspace, c’est pour le moment un truc de « riche », en dépit d’atours souvent roots, esthétique du squatt et amour de la réparation : « Les hackerspaces sont un phénomène relativement nouveau qui tend à émerger dans des sociétés assez aisées avec un revenu au-dessus de la moyenne », précise Emeka Okafor.

« La réponse est simple, renchérit Tarek Ahmed, nous ne savons pas ce que c’est ! Et en fait, je trouve ici en Égypte des hackers et des hackerspaces qui ne savent pas qu’ils le sont. »

« Nous cherchons toujours des fonds pour passer les prochaines années, poursuit Bosun Tijani, fondateur du Nigeria HUB – Co-creation Hub. Un hackerspace est difficile à gérer comme une entité purement commerciale, ceuxs que tu trouves en Afrique sont conduites comme des entreprises sociales et non profit. Attirer des fonds est difficile et nécessite une bonne compréhension de sources de financement, et du modèle de l’entreprise sociale, mais les meilleurs cas pratiques surgissent en Afrique. Il y en aura donc de plus en plus. »

« Dans tout endroit où il y a du sous-emploi, les gens pensent peut-être automatiquement que ce sera un challenge de commencer une organisation qui a des dépenses mensuelles fixes (loyer, électricité, Internet) », poursuit Mitch Altman. De fait, il est déjà énergivore, coûteux et parfois stigmatisant de monter un hackerspace dans des démocraties.

Et côté stigmatisation, ce qui est vrai en Europe ou aux États-Unis l’est aussi ici sur ce continent connu pour ses dictatures et régimes autoritaires. « Certainement, quand les gens craignent leur gouvernement, cela rend les gens prudents sur le fait d’être vus comme appartenant à un groupe qui fait ensemble des projets créatifs », avance Mitch Altman. Et ce ne sont pas les petits gars de Telecomix qui diront le contraire : Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte en savent quelque chose.

Que mille hackerspaces fleurissent

L’obstacle économique n’en est pas un pour Mitch Altman : « ce que les gens commencent à réaliser partout dans le monde, c’est que dans les pays pauvres, les dépenses mensuelles sont faibles, et donc commencer un hackerspace est en réalité plus facile dans les zones pauvres. C’est pourquoi en ce moment, il y a un fort intérêt. Depuis que nous avons programmé notre voyage, il y a moins d’un mois, de nombreuses personnes m’ont contacté en disant qu’ils voulaient commencer un hackerspace en Afrique. » Un point de vue que Tarek Ahmed corrobore :

Nous avons plus que tout autre besoin de hackerspaces car c’est parfait pour des pays qui ont des problèmes économiques.

Hackerspaces

Et si les espaces sont faciles à monter, la dynamique devrait s’enclencher : « L‘accès et les espaces collaboratifs communautaires sont la clé pour que les hackerspaces se développent », estime Emeka Okafor. « Face au challenge, des gens créatifs et qui réfléchissent se rapprochent pour accepter le défi, rajoute Mitch Altman. Quand l’opportunité existe de se rassembler dans des communautés qui apportent du soutien, ces gens voient qu’ils peuvent aider, et sont enclins à aider. Les hackers du monde entier, y compris dans des pays où les leaders autoritaires perdent leur capacité à se faire obéir, trouvent des façons de se rassembler pour maintenir la communication quand les chefs coupent les infrastructures. Cette manière de se rassembler tend à consolider la communauté, et ainsi la scène hacker va croître vite dans des pays comme l’Égypte et partout dans ce Printemps arabe. »

Pour un hack pragmatique

Moins exalté, Bosun Tijani, souligne surtout que les hackerspaces où se développent des solutions à des problèmes concrets, quitte à recadrer les rêveurs :

Nous avons beaucoup de hackers ici qui réinventent la roue, notre façon de les encourager consiste à les amener à se centrer sur des problèmes réels et la meilleure façon, c’est de les mettre avec des gens qui comprennent les problèmes réels, c’est notre raison d’être. L’intérêt pour les hackerspaces croîtra en continuant de démontrer le bien qu’ils peuvent apporter à l’Afrique. Nous devons cultiver la culture de l’utilisation des connaissances dans le cadre de problèmes locaux et les hackerspaces encouragent l’application des connaissances et de nouvelles façons de résoudre des problèmes.

Et de citer des projets tels que www.ideas2020.com. Sur cette plate-forme de crowdsourcing, les citoyens déposent leurs idées pour “The Vision: By 2020″, qui entend faire du Nigéria une des vingt puissances mondiales d’ici 2020.

« Pour que les hackerspaces s’enracinent en Afrique, des raisons convaincantes comme l’utilité et la pertinence concrète doivent faire partie de l’équation, leur but en moyenne aura besoin d’être plus pragmatique, poursuit Emeka Okafor. Il y a une chance que les gens que nous voyons à Afrilabs ((un réseau d’incubateurs de technologie) propageront les hackerspaces, à travers leur implication dans le hardware open source. »

L'Egg Bot par Evil Mad Scientist

Un côté pratico-pratique qui explique sans doute que les rares hackerspaces listés sont en fait plutôt des espaces de co-working, en phase avec le monde « réel », entreprise compris, et ne se nomment pas des hackerspaces. C’est le cas du Nigeria HUB – Co-creation Hub.  S’il porte ce nom, ce n’est pas pour éviter de faire fuir les gens avec le terme « hacker », comme l’explique Bosun Tijani :

« Hackerspace désigne plus pour nous un espace pour les geeks et le nôtre porte davantage sur la façon dont les Nigériens peuvent co-créer des solutions aux problèmes sociaux en utilisant la technologie. Donc l’accent est davantage sur les problèmes qui sont abordés, l’intelligence collective des gens, puis la technologie comme un outil. Nous croyons que mettre l’accent sur les problèmes et les besoins nous aidera à créer des outils technologiques qui peuvent servir pour des problèmes réels et aussi promouvoir le pouvoir de la technologie, sinon le hack n’est pas fini. Donc HUB – Co-creation Hub n’est pas uniquement pour les geeks et les ingénieurs mais aussi pour les entrepreneurs, les professeurs, les docteurs, les investisseurs, et toute personne intéressée par la façon dont la technologie peut aider ou fournir des idées sur l’utilisation potentielle pour traiter des problèmes sociaux. »

Pays du Printemps arabe, Kenya, Nigeria…

Outre les pays du Printemps arabe, Emeka Okafor voit aussi un fort potentiel dans des pays d’Afrique subsaharienne, comme le Nigeria, le Kenya, le Ghana, la Côte d’Ivoire et l’Ouganda : « ils sont jeunes, enthousiastes, curieux de technologie et relativement libres. » On parie en particulier sur le Kenya [fr], en plein boom technologique, contrairement à ce que nos clichés d’Occidentaux nous font croire. C’est ici qu’a été développée Ushaidi, plate-forme de suivi de crise.

Emeka Okafor affirme aussi sa foi en l’individu plutôt que dans les gouvernements, « trop lents », ou des individus réunis dans des projets via Kickstarter par exemple. Et lorsqu’il affirme que des gens comme Jean Katambayi Mukendi vont prospérer dans les hackerspaces, on le croit sur parole, d’un œil sur la bio de ce jeune plasticien congolais : « Passionné par la technique, la mécanique, la géométrie, et surtout l’électricité, il réalise ses premiers travaux à partir de l’adolescence et expose dans son pays à partir de 1990. L’électricité se présente comme un axe central, philosophique, technique, politique, illustrant les difficultés que l’Afrique connaît en ordre général. Jean Katambayi réfléchit les problèmes de société à travers cet angle, rappelant que chaque individu manipule régulièrement les dispositifs, non sans danger, pour obtenir lumière, chaleur, télévision, etc. Le rapport étroit de celui-ci avec le système électrique, s’annonce comme l’inverse des pays développés ; un lien plus que direct et néanmoins extrêmement précaire. »

Grâce au réseau mondial, l’aide viendra aussi des pays occidentaux, à l’image de Mitch Altman et Bilal Ghalib (de All Hands Active hackerspace à Ann Arbor, MI), qui ont lancé avec succès une campagne de dons qui leur a permis de venir jouer les Père Noël :

« Nous sommes là pour partager notre longue expérience avec toute personne qui souhaite monter un hackerspace dans sa ville.  Un grand bénéfice de la campagne Kickstarter a été de répandre l’appel. Avant MFA, nous avons organisé deux rencontres sur les hackerspaces, pour préparer les gens à monter et rejoindre un hackerspaces. Et il y en aura deux autres avant que nous partions. J’ai enseigné à environ 300 personnes à souder (moi-même) durant un atelier qui a duré trois jours, avec des kits et des fers à souder achetés avec l’argent des dons.  Le nouveau hackerspace du Caire a assemblé la MakerBot, donnée par MakerBot Industries, ainsi que l’Egg-Bot, donnée par Evil Mad Scientist — et ils ont fait des ateliers d’impression 3D. Minal a donné des ateliers de fabric painting. Bilal a donné plusieurs ateliers Arduino avec des Arduino donnés par un nouveau magasin local d’électronique, Future-Electronics. »

Et on est tenté de donner raison à son enthousiasme à la lecture de ces quelques mots de Tarek Ahmed :

Nos grands-parents ont construit de grandes choses comme les pyramides, puis tout a stoppé. Mais nous ramènerons la grandeur en Égypte.


Photos de Makerfaire Cairo par Mitch Altman [cc-by-sa]
Illustrations officielles du festival disponible sur http://makerfaireafrica.com

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Un Nobel ne fait pas le printemps http://owni.fr/2011/10/06/un-nobel-ne-fait-pas-le-printemps/ http://owni.fr/2011/10/06/un-nobel-ne-fait-pas-le-printemps/#comments Thu, 06 Oct 2011 10:16:41 +0000 Yves Gonzalez-Quijano http://owni.fr/?p=82283 [Mise à jour, lundi 10 octobre] Vendredi, le prix Nobel de la paix 2011 a été remis à la présidente du Libéria, Ellen Johnson Sirleaf, à l’activiste libérienne Leymah Gbowee, et à la militante yéménite Tawakkul Karman. Le comité les a choisies “pour leur lutte non-violente pour la sécurité des femmes et pour le droit des femmes à participer pleinement à la construction de la paix”. Sur son blog, Yves Gonzalez-Quijano a réagi à cette nomination : “Un Nobel un peu collectif (trois récipiendaires) et le “printemps arabe” associé au prix Nobel de la paix sans en occuper, au risque d’un malentendu, le centre : bonne pioche les Nobel !”

On a envie de paraphraser la belle formule employée vers la fin du mois de mai dernier par trois intellectuels syriens exhortant Bernard-Henri Lévy, au regard de ses antécédents vis-à-vis de la question palestinienne, à bien vouloir s’abstenir de toute intervention sur ce qui se passe dans leur pays… Elle pourrait en effet très bien convenir aux jurés de l’académie suédoise dont on dit que les choix pourraient, dans quelques jours [ndlr : remis vendredi 7 octobre] consacrer une figure arabe !

Pour le prix Nobel de la paix, on parle ainsi soit de l’Égyptienne Esraa Abdel-Fattah, une des militantes du Mouvement du 6 avril, organisation au cœur des mobilisations qui ont conduit au renversement de Moubarak, soit de la Tunisienne Lina Ben Mhenni (une universitaire de 26 ans dont le blog a déjà été distingué en juin dernier par les très reconnus BOBs Awards, organisés par le Deutsche Welle Global Media Forum). Dans les deux cas, les médias nous expliquent qu’il s’agit de saluer à la fois la contribution des médias sociaux et celle de femmes militantes du Printemps arabe©.

Sollicitude soudaine

Une “brillante idée”, naturellement ? Pas si sûr si l’intention est bien d’apporter un soutien explicite à des “musulmanes modérées”. Nonobstant le fait que l’Égyptienne qui serait retenue pour le prix s’obstine à porter un foulard de tête bien inquiétant pour ceux qui croient que c’est un premier pas vers la “burqa intégrale” comme on dit aujourd’hui en France, on peut facilement imaginer que l’octroi d’un prix aussi prestigieux va susciter bien des envies… Autrement plus grave est le fait que, dans le contexte actuel, une telle reconnaissance risque fort de conforter dans leur point de vue tous ceux qui s’interrogent sur la soudaine sollicitude des nations les plus riches vis-à-vis du monde arabe, et qui voient, à l’image de ce qui s’est passé en Libye sur le terrain militaire, une grossière ingérence étrangère sous couvert de nouveaux médias et de soutien à la liberté d’expression.

Quel que soit le crédit qu’on accorde à une telle argumentation, il faut bien reconnaître que le seul fait qu’on mentionne également, toujours pour le prix Nobel de la paix, le nom de Waël Ghoneim donne du grain à moudre à ceux qui pensent que l’employé de Google, le géant américain de l’Internet, est sans doute une icône médiatique parfaite, non pas pour les Arabes mais pour l’”Occident” (à qui il destine d’ailleurs ses Mémoires de combat qui seront publiés par un éditeur américain).

De quoi conforter dans leur opinion des analystes tels que Rabab el-Mahdi, professeure de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, qui lisent ce nouveau narrative élaboré à l’occasion du soulèvement arabe comme une manière de reconnaître une certaine opposition pour mieux ôter toute légitimité à tout ce qui serait trop violemment barbu et trop éloigné des “bons” critères de la modernité politique ! D’ailleurs, en 1988 déjà, lorsque le Nobel de littérature avait été décerné au romancier égyptien Naguib Mahfouz, certains avaient estimé que cette reconnaissance de la fiction arabe moderne venait bien trop tard.

En ne mentionnant que ses textes les plus traditionnels et les moins susceptibles de faire entendre la spécificité de la narration arabe (il est vrai qu’il n’y avait guère de traductions à cette époque…), le prix consacrait enfin un auteur, devenu acceptable sur le plan international dès lors qu’il s’était associé au traité de paix voulu par Anouar El-Sadate, mais violemment refusé par une très grande partie de l’opinion non seulement égyptienne mais arabe.

Rendez-vous raté

Un rendez-vous raté en somme, qui pourrait bien se répéter. Car pour ce qui est de l’autre prix qui, selon les experts, pourrait bien aller à un Arabe, là c’est vraiment de la dynamite comme aurait pu dire Alfred Nobel ! “Il est temps de couronner un poète du Proche-Orient”, se murmure-t-il ainsi dans les couloirs feutrés où se font les prix internationaux. Déjà, on aimerait qu’un prix aussi important ne vienne pas enfoncer des portes désormais ouvertes grâce au combat des manifestants arabes ! On aurait ainsi aimé qu’une telle idée ait germé dans des esprits moins frileux, par exemple lorsque Mahmoud Darwich était encore vivant… Mais il y a peu encore, le monde arabe était fort peu à la mode et la voix de la résistance palestinienne – pourtant traduite dans une multitude de langues – ne suscitait visiblement pas de bons échos !

Et surtout, s’il est bien vrai que l’idée du jour est de récompenser l’œuvre sans nul doute importante de cet autre poète qu’est le “Libanais syrien de naissance” Adonis, il s’agit ni plus ni moins d’un contresens tragique ! Passons sur le fait qu’Adonis a déjà été fort bien récompensé (il vient encore de remporter le très prestigieux prix Goethe en juin dernier)… Mais que cette incarnation, aujourd’hui fort âgée, d’une certaine forme d’opportunisme intellectuel passe pour un authentique représentant de la jeunesse révolutionnaire arabe, au prétexte qu’il a fini des mois après le début des événements qui font tellement de victimes dans son pays natal, par publier une filandreuse lettre ouverte au président syrien, c’est vraiment user du politiquement correct pour insulter la mémoire des vrais résistants arabes.

Messieurs du Nobel, de grâce, épargnez aux Arabes un tel soutien !


Article initialement publié sur Culture et politiques arabes sous le titre “Un Nobel politiquement correct ? Epargnez aux Arabes un tel soutien !”.

Illustration & Photo FlickR CC [by-nc] ereneta [by-nc-sa] Betsithedivine

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Printemps arabe©, si jeune et déjà marketé http://owni.fr/2011/08/03/printemps-arabe%c2%a9-si-jeune-et-deja-markete/ http://owni.fr/2011/08/03/printemps-arabe%c2%a9-si-jeune-et-deja-markete/#comments Wed, 03 Aug 2011 15:30:36 +0000 Yves Gonzalez-Quijano http://owni.fr/?p=75319 Écrire pour ce Carnet est loin d’être facile alors qu’il se déroule des choses autrement plus graves dans la région. C’est particulièrement vrai au regard de ce qui se passe actuellement en Syrie. En cette veille de ramadan [ndlr : article initialement publié le 31 juillet], karîm (généreux, magnanime…) selon la formule consacrée, l’ironie n’est plus exactement de saison…

Avec le Printemps arabe©, les publicitaires prolongent encore un peu plus « l’extension du domaine de la lutte » et, fort logiquement en définitive, se mettent à vendre la révolution arabe à toutes les sauces possibles. C’est dans son blog que Ted Swedenburg a publié, il y a un mois environ, un billet sobrement intitulé Coke & Pepsi and the Egyptian Revolution sur les nouvelles publicités pour Coca et Pepsi. Dans la droite ligne de leur éternelle rivalité commerciale (voir ce billet sur la manière dont ils embrigadent les vedettes de la chanson arabe), les deux géants américains du soda chantent aujourd’hui à qui mieux mieux les charmes de la révolution arabe.

Pepsi pour commencer (30 s), avec ces jeunes des classes moyennes (forcément révolutionnaires) qui ont tous des idées en surfant avec la technologie moderne (ordis et téléphones portables) et qui, littéralement parlant, « redonnent des couleurs à la ville ». Un peu subliminale, l’allusion à la révolution du 25 janvier n’est pas bien loin : introduit par l’image d’un journaliste à la télé sur fond de paysage urbain, le lien avec les événements est implicite avec l’image, presque en fin de clip, du personnage initial saluant depuis son balcon un rassemblement qui pourrait bien être une révolution (qui ne dit pas tout à fait son nom malgré tout)…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Coca (60 s) aussi file la métaphore des couleurs, avec ce récit du centre-ville du Caire qui sort peu à peu de la grisaille pour que « demain soit plus beau » (c’est le slogan final). Là encore, c’est avec la fin du clip que l’évocation des événements politiques se fait plus précise, lorsque, sur fond de paroles où il est question de demander l’impossible, la caméra dévoile la désormais incontournable place Tahrir.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Bien sûr, tout est beau et sans violence dans le monde enchanté de la pub ! Bien sûr, c’est loin d’être la première fois que la « réclame » pille l’imaginaire politique révolutionnaire en général et la contre-culture en particulier (Ted Swedenburg rappelle ainsi que Coca et Pepsi ont naguère accommodé à leur sauce l’underground américain des années 1960).

La révolution, presque un business forum

Mais au moins, dans l’exemple américain, la récupération a-t-elle eu lieu a posteriori. On peut être ainsi quelque peu choqué à découvrir, dans le centre de Beyrouth en avril, alors que le printemps arabe n’était pas si loin, cette publicité qui associe la participation à un business forum à une manifestation de rue…

Mais on est franchement atterré quand on découvre dans le centre de la capitale de la Syrie cette publicité qui fait sans doute allusion aux codes vestimentaires des supporters de foot mais qui fait surtout irrésistiblement penser aux manifestants pro-régimes, alors que les « événements » (comme on disait en métropole autrefois lorsqu’il s’agissait de l’Algérie) ont vraisemblablement déjà entraîné la mort de près de deux mille personnes…

Plus bête que méchant en revanche, ce clip du jeune chanteur libanais Sijal Hachem pour sa chanson Khalas (la version libanaise du kifaya égyptien) où l’on voit de beaux mâles derrière des barbelés enflammer, masque sur le nez, des pneus. De superbes créatures hésitent – comme l’armée égyptienne ? – entre répression et séduction !… Sommet de la métaphore érotique (volontaire on l’espère), le puissant jet de la lance à eau… qui noie l’hybris des manifestants ! Le tout se termine par un interrogatoire… troublant (surtout quand on pense aux méthodes trop souvent utilisées dans la région…)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les noces de la publicité et de la politique ne sont pas si anciennes que cela dans le monde arabe (2005 est sans doute une date repère : voir ce billet). Aujourd’hui encore, plus d’un régime (par exemple en Syrie : voir ces deux billets, 1 et 2) hésite entre la bonne vieille propagande de papa et la communication politique moderne et ses spin doctors. Patrie d’une bonne partie des « créatifs » de la publicité arabe et base régionale d’un certain nombre de grandes agences internationales, le Liban a été l’un des premiers terrains où des forces politiques opposées (en l’occurrence les camps du 7 8 (!) et du 14 mars) se sont clairement livré bataille par campagnes médiatiques interposées (voir ce billet).

Et le Liban est encore le lieu où cette communication politique a été non seulement tournée en dérision (sur ce plan, on trouverait facilement d’autres exemples ailleurs), mais également, « retournée » tout court, c’est-à-dire déviée de ses objectifs politiques pour être rendue à ses fins premières, faire de la réclame pour des produits de consommation (voir, dans ce billet, les réemplois publicitaires de la campagne J’aime la vie).

Comme le suggère l’auteur(e) d’un article à ce sujet sur le site Muslimah Media Watch, la révolution du Printemps arabe est non seulement télévisée, mais aussi marchandisée et sexualisée !


Article initialement publié sur Culture et Politique arabes sous le titre : “Dieu que la révolution est jolie ! Le printemps arabe© est en vente…”

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Telecomix : « hacker pour la liberté » http://owni.fr/2011/07/25/telecomix-%c2%ab-hacker-pour-la-liberte-%c2%bb/ http://owni.fr/2011/07/25/telecomix-%c2%ab-hacker-pour-la-liberte-%c2%bb/#comments Mon, 25 Jul 2011 06:09:34 +0000 Quentin Noirfalisse http://owni.fr/?p=74497 28 janvier 2011. L’État égyptien coupe Internet. L’interruption est d’une ampleur jamais vue. Dans les coulisses du réseau, une poignée de citoyens, du monde entier, tentent de bricoler des alternatives pour permettre aux Égyptiens de communiquer. Aux premières lignes se trouve une entité aux contours fluides et mouvants, Telecomix.

Ils ont appelé ça le “Vendredi de l’Obstination”. Ce 8 juillet, des milliers de manifestants se sont amassés sur la Place Tahrir et ont hurlé, près de cinq mois après la chute de Hosni Moubarak, un mécontentement abondamment nourri par l’incapacité de l’armée à réaliser les réformes promises. Dès le jeudi soir, des centaines de jeunes chantaient :

Anas al-Fiqqi a été déclaré innocent. Avez-vous déjà vu pareille audace ?

Al-Fiqqi, ancien ministre de l’information, a été acquitté, le 5 juillet, après avoir été accusé de détournement d’argent public pour financer les campagnes électorales du Parti national démocratique, la formation de Moubarak dissoute au mois d’avril. Dans la même affaire, deux autres ex-ministres ont également bénéficié d’un acquittement.

Au-delà de la simple dénonciation de ces jugements, la manifestation avait pour objet principal de réclamer une poursuite judiciaire publique à l’encontre de Hosni Moubarak et d’offrir justice aux familles des “martyrs de la révolution”. Fin mai, le raïs déchu, toujours hospitalisé à Charm-el Cheikh, écopait d’une première condamnation : une amende pharaonique de 23 millions d’euros [en] pour compenser les revenus perdus suite à sa décision de couper l’accès à Internet et à la téléphonie mobile en Égypte.

Le 28 janvier 2011, les principaux fournisseurs d’accès s’aplatissaient devant les injonctions du gouvernement égyptien et suspendaient leurs services, causant une chute de plus de 90% du trafic dans le pays. “Je n’ai jamais vu une coupure à cette échelle. Fondamentalement, c’est comme si vous redessiniez la carte et ils (les Égyptiens) ne constituent désormais plus un pays”, dira dans la foulée Jim Cowie, responsable technologique chez Renesys [en], une compagnie américaine qui ausculte le trafic internet.

Durant cinq jours, les 20 millions d’utilisateurs du Net (sur 80 millions d’habitants) et les 55 millions de détenteurs de portables ont été privés de communication [en]. Ou presque. Il n’aura, en effet, fallu que quelques heures pour qu’une mobilisation d’un type nouveau s’active, dans les coulisses du réseau, pour tenter de littéralement “hacker” (c’est-à-dire détourner) cette coupure unilatérale et de bricoler des solutions pour permettre aux Égyptiens d’à nouveau communiquer.

Pas de plan d’action fixe

Aux premières lignes de ce mouvement se trouvaient les agents de Telecomix. Tele quoi ? Pour tenter de définir cette entité a priori étrange, il faut d’abord commencer par dire ce qu’elle n’est pas. Telecomix n’est pas une organisation. Telecomix n’a pas de leaders, ni de voix commune. Telecomix n’a pas de plan d’action fixe.

Telecomix est une désorganisation sans système d’adhésion formelle ni de bureaucratie dans laquelle un groupe éparpillé de volontaires délivrent un soutien technique et communicationnel, explique Peter Fein [en], du fin fond des montagnes de l’État américain de Washington.

Depuis 9 mois, Fein, programmeur, vététiste et amateur de yoga, travaille bénévolement et à plein temps comme agent de Telecomix. Quitte à grignoter férocement sur ses économies. Il insiste : il n’est en rien un porte-parole et ne parle qu’en son nom. En conférence, il montre souvent une vidéo de la révolte tunisienne [en].

Sur cette vidéo, on voit un lance-flammes, utilisé pour disperser les protestataires. Ce que je trouve incroyable, ce n’est pas tant les violations des conventions de Genève que les téléphones qui filment. Les gens essayent désespérément de montrer au monde ce qu’il se passe. Voilà pourquoi l’information doit être libre, accessible directement à partir de cette vidéo de portable, graineuse et glorieuse. Si l’on ne peut pas voir, on ne peut pas agir.

Depuis quelques mois, Fein et les autres agents de Telecomix offrent un soutien technique aux citoyens impliqués dans les révoltes moyen-orientales. Et ce dès l’aube des grondements tunisiens, au moment où ils exfiltrèrent des vidéos de Tunisie quand Ben Ali tentait de bloquer leur publication sur Facebook. Les actions en Égypte demeurent sans doute leur fait d’arme le plus connu.

Il y a eu deux facettes à cette opération. La première concernait le moment où seulement certains sites étaient bloqués, comme Twitter ou Facebook. À ce moment-là, nous avons mis en place des miroirs et des proxys pour publier certaines vidéos qui n’étaient plus accessibles, on a également utilisé Tor et des VPN, on a eu des Égyptiens sur notre chat IRC et on leur a proposé de tweeter pour eux. Le 28 janvier, à la coupure d’Internet, tout est devenu plus “challenging”. On a essayé une quantité de choses. Nous avons tenté de communiquer par les ondes radio, mais sans beaucoup de résultats. Ce qui a le mieux marché, c’est la mise en place, avec l’aide de fournisseurs d’accès, de centaines de lignes d’appel pour modems classiques, étant donné que les lignes téléphoniques fixes n’avaient pas été coupées. Aujourd’hui, ces numéros sont notamment utilisés en Syrie. On a utilisé des numéros de fax pour envoyer, par exemple, des traitements pour soigner les effets des gaz lacrymogènes.

Les Égyptiens, rencontrés sur le réseau (et deux en vrai, pour Pete Fein, au Sheffield DocFest), ont été “superexcités” par le coup de main. Mais les agents Telecomix ne veulent pas trop en savoir sur ceux qu’ils aident. Telecomix fonctionne sans règles ni sentences, mais la sécurité des personnes aidées est mise en avant.

On réfléchit parfois, néanmoins, à ces principes non-écrits, à la bonne manière de faire les choses. Une autre chose qui m’importe, c’est que les solutions que nous proposons rencontrent les besoins des personnes pour qui nous travaillons.

Do-ocratie en toute responsabilité

Au départ, les agents de Telecomix n’avaient pas prévu un plan concerté, sur le long terme, pour agir en Égypte, ni ailleurs. Lorsqu’on se promène un peu sur leur IRC, ils expliquent vite que Telecomix fonctionne sur le concept de do-ocratie [en] (do-ocracy), une forme de structure souple dans laquelle les individus s’assignent eux-mêmes des tâches et les exécutent, en toute responsabilité. “Il suffit d’avoir des idées, et puis d’autres peuvent rejoindre, aider. Personne n’a une vue d’ensemble de tous les projets”, expliquent Fo0 et Menwe.

Pete Fein ajoute :

Tout est très ad hoc. Durant l’Égypte, il y avait 500 personnes sur l’IRC de Telecomix. Au moment où je vous parle, il doit y en avoir 170. C’est fluide. L’idée d’une do-ocratie, ça vient du Burning Man [en] et ça fonctionne à rebours de la bureaucratie. On ne reçoit pas d’ordre, les décisions se prennent en faisant les choses.

La pâte humaine de Telecomix est, presque naturellement, hybride. On y retrouve des hackers, bien sûr, mais également “des professeurs d’université en sociologie, des étudiants, des politiciens. Vous n’êtes pas obligé d’être programmeur. Bien sûr, il faut savoir se servir d’un ordinateur et après, nous vous enseignerons quelques tactiques de base.”

Comme pour confirmer le mix évoqué par Peter Fein, on croise, au détour d’une salle IRC, ehj, qui travaille auprès du parlement européen. Tomate, un “agent” allemand, résume, en quelques phrases brèves, l’essence de Telecomix.

Telecomix est une idée. L’idée de la communication libre. N’importe quel type de communication.

Et n’importe où. Telecomix ne limite pas son action au Moyen-Orient. Des formations en cryptographie ont déjà été données en Biélorussie et des ateliers délivrés à des ONG, à Genève, lors d’une rencontre organisée par Reporters Sans Frontières, à l’occasion de la journée mondiale contre la cyber-censure.

“Internet était une zone autonome”

Pour Pete Fein, l’internet est,  “d’une manière générale, sous attaque. Ça varie d’un pays à l’autre. En Egypte, ils l’ont coupé. Aux États-Unis, on met l’accent sur la surveillance. En Chine, c’est l’extrême, la sophistication des outils de censure est, waouh, juste stupéfiante. Dans vos pays européens, l’étendue des lois proposées pour surveiller le trafic, contrôler le réseau, est inquiétante. Cela ne fait que quinze ans que les gens ont accès à internet. Ça n’a jamais été le Far West. Le réseau a développé son éthique, ses règles culturelles, qui, bien sûr, varient d’un lieu à l’autre. Mais tout ça n’était pas sujet à un contrôle étatique.

Internet était une zone autonome, où les gens pouvaient se fixer leurs propres normes et maintenant, d’autres veulent revenir en arrière, récupérer le réseau. Au final, nous ne devrions pas être surpris : le même schéma se répète depuis 500 ans. Un jour, le gouvernement anglais a décidé d’octroyer des licences exclusives à certaines guildes, pour qu’elles seules puissent détenir une presse. Il a fallu trente ans entre l’invention de la radio et sa régulation gouvernementale, au grand dépit des radioamateurs. Internet subit la même chose : chaque fois que des personnes ont eu un outil de communication entre les mains, cela leur a donné des idées, le pouvoir s’est senti menacé.

Découlant tout droit des tentatives du gouvernement de prendre les rênes d’internet, les premières rencontres d’agents Telecomix sur IRC se seraient déroulées quand le Paquet Telecom, un ensemble de mesures proposées par la Commission européenne pour réguler les réseaux de communication et de services électroniques, était en voie d’adoption au Parlement européen.

Au début, détaille Ludens, l’accent était mis sur le lobbying, au niveau européen, et la sensibilisation de l’opinion publique. Ensuite, on a été rejoints par de plus en plus de personnes possédant un bagage technique, qui ont donc commencé à ‘hacker’.

Toujours au sens où les hackers l’entendent.

Parallèle avec les Anonymous

A tort, on pourrait être tenté d’assimiler les actions de Telecomix à celles des Anonymous, connus pour leur combat contre la scientologie et le blocage de sites tels que Visa ou Mastercard après que ceux-ci eurent refusé d’admettre des dons pour WikiLeaks, à la fin de l’année 2010.

Il y a des points de comparaison valables, estime Fein. Ils opèrent aussi sur le mode de la do-ocratie et, comme nous, ils soutiennent la liberté d’expression. Je traîne parfois sur leurs channels IRC, je regarde ce qu’il se passe, mais je ne suis pas actif. Il y a parfois de la place pour des collaborations. Au final, Telecomix et Anonymous essayent tous les deux de conserver un internet libre et ouvert, mais nous le faisons différemment. Eux, soulèvent des gros drapeaux rouges et nous, nous le faisons en construisant des outils qui peuvent être utiles.

Pete Fein s’interrompt. Il aimerait bien continuer Telecomix à mi-temps, trouver des fonds pour lancer un autre projet. “Je ne suis qu’un programmeur, je ne sais pas comment faire ça. Au final, c’est assez fantastique que j’aie pu me retrouver dans Telecomix. J’ai des compétences techniques, et être capable de les utiliser pour aider les gens à communiquer, cela ressemble un peu à un don. C’est ça, hacker pour la liberté.”


Illustration : JB_Graphics

Le blog de Pete Fein : http://blog.wearpants.org/tag/telecomix/

Article initialement publié sur Geek Politics sous le titre : “Telecomix, les empêcheurs de censurer en rond”

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Un voyage pharaonique en BD http://owni.fr/2011/05/06/un-voyage-pharaonique-en-bd/ http://owni.fr/2011/05/06/un-voyage-pharaonique-en-bd/#comments Fri, 06 May 2011 17:04:09 +0000 Golo & Dibou http://owni.fr/?p=61588 “Chroniques de la nécropole” est une BD à part. De celle qui raconte à la fois un destin personnel et celui d’un peuple. L’histoire perso est celle de Golo et Dibou, un couple de Français qui s’est installé au bord du Nil, tout près de Louxor et de son trésor archéologique. Deux artistes (lui dessine, elle coud) qui tombent amoureux d’une terre et de ses habitants, pauvres paysans égyptiens.

Face à l’afflux des touristes et à la menace des attentats islamistes, les autorités décident en 2006 de créer une vaste zone désormais inhabitable. Objectif : créer une sorte de Disneyland des pharaons, au prix d’une délocalisation forcée du village de Gournah. Sans trahir le suspense, la fin est triste… mais la Révolution égyptienne pourrait bien changer le cours des choses. Pour les lecteurs d’OWNI, voici un extrait de l’album et une longue discussion avec ses auteurs.

Photo Ophélia Noor en CC pour OWNI

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http://owni.fr/2011/05/06/un-voyage-pharaonique-en-bd/feed/ 2
[ITW] Golo: “La réaction citoyenne des Egyptiens” http://owni.fr/2011/05/06/itw-golo-la-reaction-citoyenne-des-egyptiens/ http://owni.fr/2011/05/06/itw-golo-la-reaction-citoyenne-des-egyptiens/#comments Fri, 06 May 2011 16:53:58 +0000 David Servenay http://owni.fr/?p=61545 De passage à Paris pour la sortie de leur album “Chroniques de la Nécropole” (éditions Futuropolis), Golo et Dibou livrent leur vision de l’Égypte d’aujourd’hui. Une Égypte à la fois libérée et anxieuse, une Égypte qui a “retrouvé son sens de l’humour”, précise le dessinateur.

Dans cette histoire, le couple retrace la chronique d’un véritable Disneyland pharaonique au bord du Nil. Un projet qui, par sa démesure, provoque l’expulsion des paysans du village de Gournah, chassés par un pouvoir concevant le tourisme comme une industrie de masse. Dans ces pages, il y a beaucoup d’humour et d’autodérision. Pas mal de noirceur et un soupçon d’espoir. L’occasion de faire le point sur les vertus de la bande dessinée appliquée à un sujet éminemment politique.

Vous êtes toujours installés à Gournah?

Golo : Oui, on habite au village, à 700 kms au sud du Caire. Face à la colline qui a été rasée, il reste quelques maisons de l’autre côté de la route. C’est la dernière tranche qui doit être détruite. C’est une zone des antiquités, où les autorités veulent racheter les terres cultivées par les paysans depuis des siècles. Toute la partie agricole du village va donc passer dans la zone du « Disney pharaonique ». C’est le « plus grand musée à ciel ouvert du monde » comme ils disent.

Dibou : Et qui dit musée, dit « pas d’habitant ».

Avant de parler de Gournah, vous vous attendiez à cette Révolution égyptienne?

Dibou : Je l’ai découvert sur Facebook, avec des vidéos montrant des dizaines de milliers de manifestants.

Golo : Le premier jour où les gens ont manifesté, c’était officiellement la fête de la police ! La réaction des autorités a été d’une brutalité inimaginable et ça a provoqué la Révolte. Il y avait alors dans l’air l’exemple de la Tunisie qui a montré aux gens que « oui, c’est possible ». Et puis, après avoir fait le premier pas, la première manif, les gens ne pouvaient plus reculer.

Dans votre village, comment s’est déroulée la Révolution ?

Golo : Dès les premiers jours, toutes les communications ont été coupées : plus d’internet, plus de téléphone portable, plus de trains, plus d’avions… Tout cela pour éviter la contagion de la révolte. Il restait juste la télé, alimentée par les antennes paraboliques. Nous n’avons pas la télé, on allait chez les voisins où les gens regardaient la Révolution. Pendant toute cette période, la police a disparu ! Dans toute l’Egypte, on ne voyait plus un uniforme. Ils étaient tous en civil ou alors c’était les truands servant d’agent provocateur.

La population s’est donc organisée spontanément dans les quartiers. Ils assuraient la sécurité, la circulation… dans les grandes villes comme au village.

Et aujourd’hui, la police est revenue ?

Dibou : Oui, mais les policiers savent que la population n’a plus peur. Les gens ne sont plus rackettés par les policiers dans la rue. Ni les chauffeurs de bus, ni les petits vendeurs de poupée… Cela a rendu aux gens leur fierté et l’espoir.

Golo : Au quotidien, il y a encore beaucoup d’inquiétude, liée à l’incertitude de la situation. Les gens attendent les élections. Et puis, il a y a des vols et de la provocation de la part de ceux qui étaient au pouvoir.

Peut-on craindre un retour des Frères musulmans ?

Dibou : Les Frères musulmans ont complètement raté le coche. Ils n’ont rien vu venir et heureusement… De toute façon, les Egyptiens n’en veulent pas.

Golo : Au sein des Frères musulmans, les gens ne sont pas d’accord entre eux. Il y a eu des élections à l’université où les FM ont nettement reculé. Les Français sont obsédés par cette question, pas les Égyptiens.

La BD est-elle en train de vivre une phase de retour vers les sujets politiques, comme vous le faites dans ces Chroniques de la nécropole ?

Golo : J’ai toujours pensé que la BD est un moyen d’expression à part entière. On peut être historique, personnel, onirique… Je ne connais pas de limite à la BD.

Dibou : Cela se veut un témoignage de ce qui a été et qui n’est plus. Sans cet album, il n’y aurait plus de traces. Il y avait aussi toutes les photos amassées pendant des années sur Gournah. L’idée de la BD avec les photos s’est imposée naturellement.

Golo : Autre exemple, lorsque le village a été rasé par des bulldozers, j’ai pris des photos. Mais pour moi, c’était trop déchirant. Je ne pouvais pas dessiner ces scènes-là.

Est-ce que la population a été consultée sur ce projet de relocalisation du village ?

Golo : Non. Ces villageois sont niés dans leur existence. Pour le pouvoir, il fallait chasser l’image de l’habitat. Le touriste ne doit pas voir le pauvre paysan égyptien. Tout doit disparaître. Seules doivent rester les pierres. L’archéologie a complètement rebâti Hatshepsout en reconstituant les lieux.

Les archéologues se sont-ils exprimés sur ce projet ?

Golo : Certains s’en fichaient complètement. Mais ils sont coincés, car pour les fouilles, ils ont besoin d’autorisation de la part du service des antiquités. Le Français Christian Blanc s’est exprimé dans Le Monde, en raison des rapports de proximité qu’il entretient avec ses ouvriers. Les ouvriers des archéologues sont tous des gens du coin.

Pourquoi êtes-vous aussi ironique, voire caustique… y compris sur vous-mêmes ?

Dibou : En Occident, on est obsédé par le boulot. Lorsque je discutais avec mes amis égyptiens, ils finissaient par me dire : « tu nous parles de ton travail tout le temps, mais tu ne dis rien sur toi ». Donc, je suis venu à Gournah pour m’arrêter sur moi-même, même si cela n’a pas toujours été évident : on est dans une vie trépidante et tout à coup, on peut être saisi par l’ennui. Me vider la tête de mes clients [Dibou était consultante en marketing, Ndlr], ça a été plus compliqué que le problème de l’argent. Le plus dur a été de reconnaître mes envies et puis on a une vie très monacale.

Avec la Révolution, vous pensez que le tourisme pourrait aussi changer… ?

Golo : Jusqu’à présent, les gens sur place n’ont que les miettes des miettes de tout ce business. Si ça pouvait les aider à vivre correctement, ça serait bien. Une bonne partie de la population a envie que ça change.

Dibou : Pas de mal de gens ont été mis en taule. Le gouverneur de Louxor, par exemple, a été jeté en prison. Il va y avoir des jugements pour corruption.

Golo : Dans la Révolution égyptienne, ce qui m’a marqué, c’est à quel point les gens ont eu une réaction citoyenne après des années d’oppression. Sur tous les aspects : la sécurité, la circulation, l’organisation… ça donne de l’espoir ! Les gens prennent conscience qu’ils peuvent changer les choses, que ce n’est pas la volonté venue d’en haut, de Dieu ou d’autres ! La façon dont ils ont utilisé Internet, ils ont été merveilleux d’invention.

Le prochain album sera celui de l’espoir…

Golo : J’espère qu’il sera positif. Mais les jeunes du village relocalisé dans le désert m’ont redonné espoir. Ils ont rebaptisé la place du village « place Tahrir » !

Ils pourront lire votre BD ?

Dibou : Oui, nous allons en apporter des exemplaires en rentrant. Jusqu’à maintenant, tous les albums de Golo ont été censurés pour on ne sait quelle raison…

Golo : Cela me rappelle une anecdote. Lorsque j’ai adapté le livre « Mendiants et orgueilleux » en BD, Albert Cossery m’avait dit : « enfin, les illettrés vont pouvoir me lire » !


Photos : Ophelia Noor en CC pour OWNI /-)

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