OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Google m’a supprimé http://owni.fr/2011/08/29/google-suppression-compte-donnees-personnelles-vie-privee-god/ http://owni.fr/2011/08/29/google-suppression-compte-donnees-personnelles-vie-privee-god/#comments Mon, 29 Aug 2011 14:21:49 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=76455 Thomas Monopoly a vu son compte Google, et ceux qu’il avait associés, désactivés du jour au lendemain, sans qu’il ne soit averti. Fâcheuse aventure qu’il raconte ici. Son compte, fermé pour des raisons de violation des conditions d’utilisation, a été réactivé depuis. Artiste, l’auteur a monté une exposition – numérique – il y a trois ans intitulée “L’évolution du sexe” et dans laquelle il avait inséré  une photo “à la limité de la légalité“. Qui ne lui appartenait pas. Cette exposition avait pour but de souligner la violence et l’absurdité croissante de la pornographie. Google avait donc décidé de supprimer son compte sans préavis. Explications sur son blog.

Vous vous réveillez un matin et constatez la disparition de la totalité de votre vie numérique !

Plus de mails, plus de contacts, plus de photos, plus de vidéos, plus de documents, plus de calendrier, plus de blog, plus de favoris, plus de flux RSS… tout, absolument tout, s’est évanoui !

De la science-fiction ? Non, un simple compte Google désactivé unilatéralement et sans préavis par la société.

En l’occurrence le compte de Dylan M. (@ThomasMonopoly sur Twitter) qui avait décidé peu de temps auparavant de tout faire migrer sur son unique compte Google. Compte sur lequel étaient attachés les nombreux services qu’offre la firme de Mountain View : Gmail, Picasa, Google Docs, Calendar, Reader, Blogger, etc.

Et ce sont donc ici sept années digitales qui partent en fumée d’un simple clic. Adieu données personnelles. Ce n’est alors pas uniquement votre identité numérique qui vacille, mais votre identité toute entière…

Cette triste ou effroyable histoire vraie est malheureusement riche d’enseignements. D’abord parce qu’elle peut arriver à n’importe quel possesseur d’un compte Google. Mais aussi et surtout parce qu’elle en dit long sur ce que nous acceptons tacitement lorsque nous décidons de faire confiance à ces “sociétés du nuage” en nous inscrivant, le plus souvent gratuitement, à leurs services en ligne. Et il va sans dire que Facebook, Twitter ou Apple ont, toutes, le droit d’en faire autant.

Exaspéré et désespéré, Dylan M. a conté sa mésaventure dans une longue lettre ouverte à Google, que vous trouverez traduite ci-dessous. Une lettre publiée sur… TwitLonger et non sur son blog, puisque ce dernier était sur Blogger et dépendait lui aussi de son compte Google !

De quoi faire réfléchir non seulement sur les pratiques du géant Google mais également sur le monde dans lequel nous avons choisi de vivre…

Je vous laisse, j’ai quelques sauvegardes urgentes à faire sur mon disque dur.


“Cher Google…”, Thomas Monopoly, 22 juillet 2011, TwitLonger

Cher Google,

Je voudrais attirer votre attention sur quelques points avant de me déconnecter définitivement de tous vos services.

Le 15 juillet 2011 vous avez bloqué la totalité de mon compte Google. Vous n’aviez absolument aucune raison de faire cela, même si votre message automatique me disait que votre système avait repéré une “violation”. Je n’ai en aucun cas violé les Conditions Générales d’Utilisation, que ce soit celles de Google ou celles spécifiques au compte, et votre refus de me fournir une quelconque explication ne fait que renforcer ma certitude. Et je souhaiterais vous montrer les dégâts que votre négligence a causés.

Mon compte Google était lié à presque tous les produits que Google a développés, ce qui veut dire que j’ai aussi perdu tout ce qui était dans ces comptes. Je venais aussi d’entreprendre de tout regrouper sur un seul compte Google. En fait, j’avais réfléchi à tout cela voici quelques mois et avais décidé que Google était une entreprise sérieuse et digne de confiance. Donc j’ai tout importé de mes autres comptes Hotmail, Yahoo…, dans mon unique compte Gmail. J’ai passé environ quatre mois à migrer lentement toute ma présence en ligne : comptes email, informations bancaires, documents professionnels, etc., dans cet unique compte Google, l’ayant déterminé comme étant fiable.

“C’est quelque chose qui me dépasse complétement”


Cela correspond, en termes d’informations, à environ 7 années de correspondances, plus de 4800 photographies et vidéos, mes messages Google Voice, plus de 500 articles enregistrés dans mon compte Google Reader pour mes études (lorsque j’ai fermé mon compte Reader d’origine pour tout regrouper dans mon unique compte portant mon nom, j’ai ré-enregistré plusieurs centaines d’articles et de flux moi-même, à la main, un par un dans ce nouveau compte, celui que vous avez fermé et dont j’ai maintenant perdu tous les articles). J’ai également perdu tous mes favoris, ayant utilisé Google Bookmarks.

J’avais migré mes favoris d’ordinateur à ordinateur pendant peut-être 6 ans, environ 200, et je les ai finalement tous envoyés sur Google Bookmarks, content d’avoir trouvé une solution pour les migrer et content de me préserver de leur perte. J’ai aussi perdu plus de 200 contacts. Nombreux sont ceux pour lesquels je n’ai pas de sauvegarde. J’ai aussi perdu l’accès à mon compte Google Docs avec des documents partagés et des sauvegardes de fichiers archivés. J’ai par ailleurs perdu l’accès à mon calendrier. Avec cela, j’ai perdu non seulement mon propre calendrier personnel avec des rendez-vous chez le médecin, des réunions et autres, mais j’ai aussi perdu mes calendriers collaboratifs que j’avais créés et pour lesquels plusieurs heures de travail humain ont été nécessaires, des calendriers communautaires qui sont maintenant perdus.

Aucun de ces calendriers n’était non plus sauvegardé. J’ai également perdu mes cartes Google Maps sauvegardées et mon historique de voyages. J’ai perdu mes dossiers de correspondances médicales et diverses notes très importantes qui étaient attachées à mon compte. Mon site web, un compte Blogger pour lequel j’ai acheté le domaine via Google et que j’ai conçu moi-même, a été aussi désactivé et perdu. Pensez-vous réellement que je ferais sciemment quelque chose qui mettrait en péril autant de données personnelles et professionnelles ? Au fur et à mesure que les jours passent, je suis certain que je vais prendre connaissance d’autres choses que Google a détruites dans la désactivation injustifiée de mon compte. Je suis seulement trop en colère en ce moment pour réfléchir correctement et tout passer en revue. Pourquoi quelqu’un confierait-il quoi que ce soit à “l’informatique dans les nuages” après ce que j’ai traversé ? C’est quelque chose qui me dépasse complétement.

Je voudrai aussi préciser que je suis en fait un client payant, au point que j’ai acheté mon domaine via Google et j’ai aussi acheté de l’espace de stockage supplémentaire.

J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments : je suis en ce moment en train de soumettre ma candidature pour les études supérieures. Je recevais occasionnellement des courriels de professeurs et d’autres personnes que je n’attendais pas et dont je n’avais pas les coordonnées. Ceci entraînant qu’en plus de mes amis et de ma famille à l’étranger ou des gens qui ne pouvaient pas me joindre autrement, ces personnes recevront maintenant un message de Google leur signalant que mon adresse électronique n’existe pas. Et j’ose imaginer que certains d’entre eux n’auront pas le temps de trouver d’autres moyens de contacter un candidat à qui ils faisaient une faveur en faisant le premier pas.

J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments : j’ai été ce que l’on pourrait appeler un supporter enthousiaste de Google en tant qu’entreprise. Étant un utilisateur de la première heure, on pourrait presque dire que j’ai été un apôtre du travail de Google. Google sortait ses produits prématurément, et je contribuais au feedback sur ces produits. Lorsque Google a réussi son coup politique en Chine en re-routant les serveurs vers Hong-Kong, j’ai applaudi et j’ai posté des articles à ce sujet sur tous mes réseaux sociaux, et j’ai fait la remarque, par ces mots, à plusieurs personnes que je connais : “ils l’ont fait avec classe et dignité”. J’ai également convaincu l’entreprise pour laquelle je travaillais de migrer vers Google Business Apps et d’utiliser les Google Apps pour à peu près tout. Je les ai aussi encouragés à acheter de l’espace de stockage avec Picasa pour construire notre base de données d’images. De plus, j’ai convaincu presque toute ma famille et mes amis d’ouvrir un compte Google ou Gmail dans les deux dernières années, et j’ai montré aux gens comment les utiliser et leur ai expliqué les bénéfices de Chrome sur les autres navigateurs. J’ai même des actions Google.


“S’il vous plait, aidez-moi, mon compte a été désactivé et je ne sais pas pourquoi !”


J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments encore : je ne suis pas fâché que Google ait suspendu mon compte s’ils pensent qu’il a été corrompu, mais je suis absolument furieux qu’ils aient suspendu mon compte sans me prévenir, sans même me donner une raison, et sans me donner quelque moyen que ce soit pour le réactiver, et ensuite ignorer toutes mes tentatives de trouver un interlocuteur. Aucun autre prestataire de service Internet ne se comporte ainsi. Je comprends que Google ne puisse pas offrir de l’aide personnalisée pour chaque demande de ses utilisateurs, mais quand une société comme Google a pris une position de monopole sur des pans entiers de l’Internet, elle a le devoir de se montrer responsable envers leurs clients quand des évènements comme ceux-ci arrivent. J’ai utilisé tous les forums d’aide : en vain. Et cela n’a fait que me mettre davantage en colère. Je ne vais pas prendre la peine de citer toutes les conversations absurdes que j’ai eues, elles sont trop nombreuses et elles vont seulement me rendre de plus mauvaise humeur.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est quand un “top contributeur” a déplacé le fil de la discussion du forum d’aide initial sur lequel je postais vers un autre forum sans ma permission. Puis, quelques jours plus tard, un autre “top contributeur” a laissé un message indiquant que le fil se trouvait dans le mauvais forum et a fermé la conversation, m’empêchant dorénavant au même titre que n’importe quelle autre personne d’y participer ou de faire des progrès. Les forums d’utilisateurs ne sont pas des sources d’information contrairement à ce que pense Google. Et la seule fois qu’un employé de Google a contribué dans mon fil, cela a été pour dire que ma question n’était pas posée dans le bon forum, et pour me dire que j’aurais dû poster dans le forum où je l’avais initialement placé. Cela s’est produit quand j’ai reposé sans arrêt les mêmes questions. En voici un exemple :

- Moi : S’il vous plait, aidez-moi, mon compte a été désactivé et je ne sais pas pourquoi !

- Utilisateur 1 : Connectez-vous simplement au tableau de bord et faites quelque chose.

- Moi : Je ne peux pas, mon compte a été désactivé.

- Utilisateur 2 : Salut, je viens juste de voir votre post. Pouvez-vous vous connecter à votre compte et me dire ce que quelque chose dit ?

- Moi : Mais puisque JE VOUS DIS que JE NE PEUX PAS me connecter à mon compte !

- Utilisateur 1 : Ok, ne vous énervez pas, pouvez-vous faire quelque chose qui implique que je sois connecté ?

- Moi : Mais NON ! Je ne peux pas DU TOUT me connecter à mon compte !!!

Puis la conversation a été fermée par quelqu’un et j’ai abandonné, après 5 jours. Je comprends la philosophie qui est derrière les forums modérés par les utilisateurs eux-mêmes. Mais dans de nombreux cas, les problèmes sont hors de portée des autres utilisateurs. Je ne demande pas comment activer les émoticônes dans une signature Gmail ou comment modifier ma photo de profil. Mon problème est un problème grave pour lequel une voie de secours sérieuse devrait être disponible. Je pense mettre le doigt sur une critique valide des insuffisances de l’aide gérée par les communautés d’utilisateurs en ligne. Google a mis en place une gestion type Ferme des Animaux sur son site avec des utilisateurs qui pour la plupart sont bien intentionnés mais complètement incapables de prendre des décisions à un niveau administrateur ou d’offrir de l’aide à un tel niveau.

Et cela peut fonctionner en douceur aussi bien pour l’utilisateur que pour l’entreprise, du moment que l’entreprise reste impliquée et prend ses responsabilités quand la résolution d’un problème est entièrement hors de portée d’un autre utilisateur. Google ne fait pas cela.

“Comme dans un cauchemar kafkaïen”

Je me fiche qu’un service Google soit gratuit. C’est Google qui adopte l’approche : “Vous n’aimez pas ? Tant pis, de toutes façons c’est gratuit”. Gratuit ou non, tous les utilisateurs sont dans l’orbite de Google et c’est en nous montrant des publicités que Google a gagné ses milliards de dollars. Il n’y a pas d’autre société cotée en bourse et du niveau de Google qui ne propose pas un support simple et complet à ses utilisateurs.

En plus des forums, j’ai également rempli tous les formulaires et demandes que j’ai pu trouver, et tenté de contacter chaque bureau et même chaque personne dans les deux bureaux de Manhattan. Mais pas une seule personne n’a été capable de m’aider, ce que je trouve choquant et exaspérant comme dans un cauchemar kafkaïen. Un employé m’a même répondu qu’il ne savait pas ce que je devais faire, ajoutant : “Honnêtement, je n’utilise même pas Google” !

Après avoir exploré tous les canaux possibles pour obtenir de l’aide, j’ai finalement été contacté tout à coup par un employé de Google qui a vu par hasard mes protestations sur Twitter, un service que j’ai utilisé suite à l’absence complète de support à la clientèle de Google. Il a dit qu’il allait essayer de contacter des personnes chez Google pour m’aider à restaurer mon compte. Après plusieurs échanges d’emails avec lui, il m’a rapporté qu’il avait parlé à quelqu’un de chez Google qui lui a dit que mon compte avait été désactivé, sans lui dire pourquoi. Il a essayé d’expliquer que ça devait être une erreur, mais ils ne pouvaient pas se l’expliquer eux-mêmes.

Alors Google, voici autre chose à laquelle je voudrais que vous réfléchissiez. L’un de vos propres employés est allé vers vous pour moi et vous a indiqué que vous aviez désactivé mon compte par erreur, et votre réponse a été : “non, on est presque sûr que non”. Votre propre employé a dit : “écoutez, j’ai parlé à cette personne et je pense qu’une erreur a été faite, vous devriez revérifier ou lui parler”. Et à nouveau, votre réponse a été “non, on est presque sûr”. Alors, posez-vous la question, quelqu’un comme moi qui a vu son compte être désactivé se lancerait-il dans une telle campagne vociférante et bruyante pour parler à quelqu’un de chez Google afin de leur expliquer qu’une erreur a été commise et que des années de données importantes ont été détruites, quelqu’un comme moi qui aurait volontairement mené des activités illégales sur son compte ferait-il cela ? Vous avez seulement besoin de bon sens pour répondre.

D’autres éléments : J’ai eu des comptes Hotmail, Yahoo, AOL et Compuserve et jamais l’un de ces comptes n’a été désactivé. Lorsque l’une de ces entreprises pensait que mon compte était compromis, elle m’en a averti et j’ai changé mon mot de passe. Pourquoi Google ne m’a-t-il pas notifié, à l’adresse email alternative que j’ai fournie à l’inscription, avant de prendre la décision de désactiver mon compte ? Cela me laisse perplexe. Si vous dites que j’ai violé certaines Conditions Générales d’Utilisation c’est votre droit, et dans ce cas il est justifié de résilier mon compte. Mais je vous demande maintenant un minimum de preuves de cette violation.

Concernant toute violation, je veux être tout à fait clair : je n’ai causé aucune infraction aux Conditions Générales d’Utilisation. Si Google pense que quelque chose a été fait de mon côté, je les défie de me dire ce que c’est. Je n’ai d’aucune façon violé de Conditions d’Utilisation, c’est un fait. Je voudrais signaler que quelques jours avant que mon compte ne soit désactivé j’obtenais des messages d’erreur quand j’essayais d’accéder à Google.com via Chrome. Je sais que je ne suis pas la seule personne que je connais à qui cela est arrivé. Mes amis et membres de ma famille utilisant Chrome obtenaient des messages d’erreur en essayant d’accéder à Google.com. Je pense que c’était des avertissements de redirections ou de certificat du site. J’ajoute que mon compte Google Plus se comportait de façon étrange lui aussi avant la désactivation de mon compte. Mais je lance des vérifications antivirus régulièrement et je n’ai jamais eu de virus. Une quelconque “violation perçue” est une méprise de la part de Google, ceci aussi est un fait.

La menace Google

Vous avez coupé mes moyens de communication, perturbé ma vie personnelle et professionnelle, détruit de larges parties de mes données personnelles et professionnelles, m’avez accusé de quelque chose sans me dire de quoi, avez bloqué toute communication directe avec mon accusateur, et ne m’avez donné aucune possibilité de faire appel de cette décision ou de parler à quelqu’un des faits connus dans cette affaire. Cette entreprise se dirige vers une voie très, très menaçante, si elle continue ainsi.

Plusieurs appels ont été faits à l’ONU pour que l’accès à Internet, aux communications essentielles et aux services d’information deviennent des Droits de l’Homme. En Grèce, en Espagne, en France et en Scandinavie, cela a déjà été accordé. Ce ne sera pas long avant que des lois ne soient mises en place concernant les comptes personnels utilisés pour accéder à ces services de communication et d’information, et des lois régulant la sauvegarde des informations personnelles contenues dans ces comptes, comme les correspondances. Il est impardonnable qu’une entreprise telle que Google, qui fait tant de déclarations sur les bonnes pratiques dans les domaines de la communication et de l’information, n’ait pas pris d’elle-même l’initiative et ait à la place choisi de traîner les pieds tant qu’elle n’y est pas contrainte par les gouvernements.

Les entreprises comme Google profitent des lois actuelles et écrivent dans leurs Conditions Générales d’Utilisation des choses telles que :

…vous accordez à Google le droit permanent, irrévocable, mondial, gratuit et non exclusif de reproduire, adapter, modifier, traduire, publier, présenter en public et distribuer tout Contenu que vous avez fourni, publié ou affiché sur les Services ou par le biais de ces derniers.
(NdT : Tiré directement de la version française)

Ces conditions ne sont pas viables et je ne doute pas qu’elles seront modifiées à un moment ou à un autre à l’avenir. De nombreux grands médias, tel que le Washington Post, ont déjà commencé à scruter Google et d’autres entreprises qui ont choisi d’imposer de telles drastiques conditions à leurs clients. Voir Google agir de la sorte est infect et inexcusable.

Et je m’inquiète réellement de l’avenir de la dissidence sociale et politique qui devra se battre pour exister dans l’œil du cyclone formé par les réseaux sociaux et l’actuelle politique de Google. Un climat dans lequel la Responsable de la Vie Privée chez Google, Alma Whitten, a encensé YouTube comme un moyen pour les activistes politiques de poster du contenu de manière anonyme. Quelques mois plus tard, une nouvelle décision interne éliminait tranquillement toute possibilité de publier anonymement.

“J’ai toujours été un apôtre et un fidèle de Google. Aujourd’hui c’est terminé.”


Je tiens aussi à mentionner qu’en aucun cas je n’ouvrirai un autre compte Google.

Comme je l’ai déjà dit, j’ai toujours été un apôtre et un fidèle de Google. Aujourd’hui c’est terminé. Je vais en finir avec les Google Apps qu’utilise mon entreprise et laisser tomber tous les autres produits Google que j’utilise, même les services comme Google News que je consultais auparavant plusieurs fois par jour. J’étais même sur le point de remplacer mon iPhone par un téléphone tournant sous Android. Au lieu de cela, je vais dépenser la même énergie que je consacrais à encenser Google à dénoncer cette entreprise que je considère désormais comme extrêmement nuisible et aux pratiques honteuses. Je vais écrire à mon sénateur, vendre mes actions et contacter ma banque à propos de l’argent que j’ai versé pour le domaine et l’espace de stockage qui sont à présent inaccessibles. Je vais faire pression sur Google par tous les biais possibles pour qu’ils m’expliquent ce qu’ils ont perçu comme une violation de leurs Conditions d’Utilisation. Ces conditions que Google nous présente lors de l’ouverture d’un compte : “Google se réserve le droit de clore votre compte à n’importe quel moment, pour n’importe quelle raison, avec ou sans préavis” ne sont pas des termes défendables (pour certains points, je pense qu’un tribunal pourrait conclure que ces termes sont inacceptables).

Google est une entreprise à qui les gens confient de nombreuses données personnelles dont ils dépendent fortement. C’est pourquoi Google doit fournir la preuve de ce qui cause la désactivation d’un compte. Une fois de plus, on ne peut pas prendre l’argent des gens et avoir un monopole sur des pans entiers de l’Internet sans montrer un minimum de responsabilité vis-à-vis de ses clients. J’ose espérer que Google sera forcé de fournir un moyen de récupérer ses données personnelles telles que sa correspondance ou ses contacts lors de la fermeture d’un compte.

Le fait que pour le moment Google n’offre pas cette option lorsqu’il désactive arbitrairement le compte d’un utilisateur ne fait qu’ajouter l’insulte aux dommages causés.

Quand je pense à tout le business que j’ai fait faire à Google, à tout l’argent que j’ai apporté à cette entreprise, à tous les gens que j’ai convertis de Yahoo ou d’Hotmail, à tous les prêches que j’ai faits envers Android, à tout le travail que j’ai consacré à la souscription de mon entreprise à Google Apps, ça me met en rage et je regrette tout ce que j’ai fait. Et je vais faire tout ce qui est humainement possible pour défaire toutes ces actions, ainsi que pour mettre Google sous pression pour qu’elle devienne une entreprise plus responsable.

Honte à vous et à vos associés ainsi qu’à vos employés qui tolèrent de telles pratiques d’entreprise déplorables, déshonorantes et répréhensibles !


Article initialement publié sur Framablog sous le titre “Google m’a tuer”.

Traduction Framalang : Marting, Slystone, Siltaar, Juu, Padoup et Goofy.

Illustrations Cc FlickR: tangi_bertin, gabrielsaldana, psd, dullhunk

Image de Une © Fotolia

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Les vrais Net-goinfres, ce sont les FAI http://owni.fr/2011/08/22/les-vrais-net-goinfres-ce-sont-les-fai/ http://owni.fr/2011/08/22/les-vrais-net-goinfres-ce-sont-les-fai/#comments Mon, 22 Aug 2011 16:39:05 +0000 Henri de Bodinat http://owni.fr/?p=76636

Monsieur Lévy [Jean-Bernard Lévy, ndlr], le patron de Vivendi (SFR), celui de Deutsche Telekom, et celui d’Alcatel ont récemment planché devant la Commission européenne, et ont récemment publié dans Le Monde une tribune libre, expliquant onctueusement que pour le bien de tous, pour permettre de financer les investissements épouvantablement lourds en fibre optique, et pour permettre un accès sans problème aux sites Internet consommateurs de bande passante, comme YouTube, il fallait… faire payer les opérateurs de ces sites Internet…

Derrière ces grands démonstrations quasi-humanitaires, il n’y a qu’une idée, très simple : essayons de gagner encore plus, en utilisant notre position de monopole pour faire payer non seulement le client final de notre service d’accès Internet, mais aussi les grands sites Internet eux-mêmes. Derrière le rideau du bien commun, la cupidité pure. Quand Neelie Kroes demande à ces dirigeants leur position sur l’Internet du futur, c’est un peu comme demander au renard comment gérer le poulailler…

L’idée de faire payer le transport de données Internet aux sites eux-mêmes est un serpent de mer qui revient périodiquement dans le discours des opérateurs de réseaux télécoms, toujours à l’affut de leviers leur permettant de gonfler leurs profits déjà considérables et parfois injustifiés.

Faire payer ceux qui leur ont permis de réaliser des profits importants

Cette proposition est à la fois indécente et destructrice de valeur.

Elle est indécente car les grands opérateurs télécoms, qui sont essentiellement des opérateurs de réseaux fixes ou mobiles, obtiennent déjà une rentabilité très élevée en facturant le service d’accès Internet aux client final, ménage ou entreprise. Le paiement de l’accès Internet, de 30 à 100 euros par mois voire plus pour les entreprises, a même sauvé les opérateurs de réseaux fixes de la chute brutale de leurs revenus quand les appels sur mobile ont cannibalisé les appels sur le fixe. Cette chute de la voix sur le fixe a été plus que compensée par l’utilisation du fil de cuivre ou de la fibre pour transporter non pas des conversations mais des données. Internet et ses contenus ont sauvé les opérateurs de réseaux fixes et sont aujourd’hui en train, avec les smartphones, de booster les revenus des réseaux mobiles, grâce à l’Internet mobile.

Pourquoi un ménage ou une entreprise s’abonnent-ils à l’accès Internet de Deutsche Telekom, de SFR ou de Comcast ? Tout simplement pour avoir accès aux contenus ou aux services qui leur sont apportés gratuitement par les grands fournisseurs de contenu Internet, de Google à Facebook. SFR ou Comcast veulent aujourd’hui faire payer les entreprises Internet qui leur ont permis de réaliser des profits importants en facturant au client final l’accès à ces sites. Mais sans Google, Amazone, YouTube ou Facebook, qui s’abonnerait à Free ou à SFR ?

C’est un peu comme si Canal +, qui fait aussi partie du groupe Vivendi, demandait aux producteurs américains de films et de séries, qui représentent l’essentiel de son offre de fiction, ou à la Ligue française de football, de payer pour être transporté par satellite ou câble jusqu’au consommateur final. J’aimerais voir la tête du patron de Paramount quand Monsieur Lévy lui expliquera pourquoi il doit payer pour monter sur Canal Sat, au lieu d’être payé pour son contenu exclusif.

Si quelqu’un devait payer quelqu’un d’autre, il serait d’ailleurs plus logique que SFR ou Comcast partagent avec YouTube ou Facebook les revenus considérables d’accès Internet payants, qui n’existeraient pas sans ces grands sites, comme Canal + paie les producteurs de contenus permettant de recruter des abonnés payants.

Un nouveau clou dans le cercueil de nos économies

Cette position surréaliste des rentiers des réseaux cherchant à tout prix à augmenter leur rente de monopole est par ailleurs destructrice de valeur. L’Internet s’est développé très rapidement car il a été essentiellement un modèle gratuit. On ne paie pas pour utiliser Google, YouTube ou Facebook, et Google, Facebook et YouTube ne paient pas pour être amenés jusqu’au client final. C’est ce qu’on appelle la « neutralité du Net » qui a permis son éclosion et son développement. La floraison des sites Internet, cette économie vibrante et entrepreneuriale, est aujourd’hui l’un des principaux ressorts de croissance et de qualité de vie dans les économies occidentales délabrées par la mondialisation. Faire payer les sites pour la bande passante freinerait cet essor créatif et bénéfique pour tous, qui permet l’accès facile et riche à l’information, aux services ou même aux produits grâce au e-commerce.

C’est comme si une bande de rentiers riches et peu créateurs de valeur proposaient de faire les poches à un groupe de jeunes entrepreneurs. Transférer des ressources de l’entrepreneuriat du Net aux rentiers des réseaux reviendrait à transformer l’investissement dans de nouvelles entreprises en dividendes pour des actionnaires passifs et serait une colossale erreur qui handicaperait durablement les économies occidentales. Nous avons déjà observé un transfert massif de ressources de l’économie productive vers l’économie financière, qui a plombé les économies occidentales pour permettre de gaver les banquiers de bonus. Un péage permettant aux opérateurs de réseaux de faire payer les producteurs de contenus Internet, en risquant de casser l’essor d’Internet, serait un nouveau clou dans le cercueil de nos économies, dont le seul intérêt serait de gonfler les dividendes et les bonus d’oligopoles déjà riches.

Et l’argument du financement des réseaux de fibre est creux. Un opérateur de réseaux a pour rôle de… financer des réseaux. Et si la fibre optique ou la 4G ne sont pas rentables, eh bien restez à la 3G et au fil de cuivre, messieurs les opérateurs. Dans la réalité, la fibre va permettre une augmentation considérable de la bande passante, donc du trafic, et des facturations différenciées du client final en fonction de son utilisation. La fibre va permettre d’augmenter l’ARPU (Average Revenue Per User) de l’accès Internet, ARPU qui est le Graal des opérateurs de réseaux. Le financement de la fibre, rentabilisé par cette augmentation de l’ARPU, et largement aidé par les États, n’est ainsi qu’un prétexte transparent pour tenter d’instituer un péage illégitime sur les contenus.

Que la cupidité puisse ainsi de façon quasi institutionnelle menacer un secteur économique entier et s’opposer aussi frontalement à l’intérêt général en dit long sur la dérive du capitalisme actuel, et contribue peut-être à expliquer pourquoi nous sommes entrés en crise durable. Pour aggraver cette crise, rien de plus facile : faisons droit aux demandes des opérateurs télécoms en instituant un péage sur les fournisseurs de contenus Internet, et étouffons ainsi lentement Internet…

Billet initialement publié sur Stratégies, un blog de Challenges sous le titre « Association de malfaiteurs »

Image CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialeCaptPiper

Les autres articles de notre dossier :
Internet illimité : les opérateurs s’agitent
Internet illimité : les opérateurs s’agitent
Image de Une Loguy pour OWNI, téléchargez-la :)

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Tunisie, Twitter, WikiLeaks et l’indécence http://owni.fr/2011/03/10/tunisie-twitter-wikileaks-et-l%e2%80%99indecence/ http://owni.fr/2011/03/10/tunisie-twitter-wikileaks-et-l%e2%80%99indecence/#comments Thu, 10 Mar 2011 12:25:37 +0000 Bruno Walther http://owni.fr/?p=42939 Ndlr: Billet publié sur owni le 19 janvier 2011. Rendez-vous le 22 mars pour la Nuit-Sujet Owni/Radio Nova sur le thème “Dégage” autour de la mise en réseau du monde et de son impact politique global.

Certains veulent nous faire croire que ce qui se passe en Tunisie est une WikiLeaks et Twitter révolution.

Cette analyse n’est pas seulement insultante pour le formidable courage de la jeunesse tunisienne et ses martyrs. Elle traduit une époque, où le temps se réduit et le poids de l’histoire et des dynamiques sociales sont systématiquement gommés.

Sur le fond, la révolution tunisienne n’a pas grand chose à voir avec le graph social ou l’opendata.

Depuis 1987, Ben Ali a construit un système de parti unique dominant le moindre espace public où la police et la bureaucratie étaient aussi omniprésentes que kafkaïennes. Un pays où la moindre fenêtre d’expression était fermée. Où même vos mots de passe étaient filtrés par le gouvernement. Et surtout, Ben Ali a instauré une économie mafieuse où les richesses, mêmes les plus infimes, étaient systématiquement captées par la famille régnante. Impossible d’y faire grossir une boite sans, qu’à un moment ou un autre, Trabelsi s’invite dans votre capital.

Et lorsque vous  affamez un peuple,  le privez d’un droit à l’avenir, il préfère toujours prendre le risque de la mort plutôt que continuer à vivre sans espoir. C’est précisément ce qui s’est passé en Tunisie.

Et nos zélateurs de la Twitter révolution oublient un peu vite que Mohamed Bouazizi n’a pas publié un post pour protester contre la saisie musclée par la police de son étal de fruits et légumes.

Non !

Il s’est d’abord installé devant les bureaux du gouverneur – le représentant des autorités de Ben Ali – de Sidi Bouzid. Et là, il a fait le choix conscient de se donner la mort. De se sacrifier. De s’immoler par le feu.

Le peuple de l’intérieur, le plus désespéré, a payé le prix du sang

Et c’est le peuple de l’intérieur du pays, le plus désespéré, qui a bravé la peur et la répression policière pour faire tomber ce régime. C’est lui qui a payé le prix du sang.

Sur la forme, certes le web a permis de contourner la censure, de faire surgir les images des répressions. Mais sur le fond, avec ou sans le web ce régime serait tombé.

Simplement, parce que lorsque une jeunesse préfère s’immoler par le feu que de continuer à vivre l’injustice, aucune dictature ne peut tenir. En Tunisie, c’est la révolte assez classique d’un peuple contre son oppresseur.

Quant à WikiLeaks, expliquer que les milieux dirigeants auraient pris conscience de la corruption des Trabelsi, en lisant les câbles américains, est juste ridicule. La prédation des Trabelsi sur l’économie tunisienne imprégnait l’ensemble de la vie tunisienne.

Pour autant, il y a un sujet sur lequel l’Internet aura probablement un impact sur la révolution en cours. La nouvelle Tunisie, ouverte et libre, peut se construire avec et autour du Net.

Elle dispose d’atouts incontestables. Une jeunesse correctement formée. Une réelle empathie pour le Net. Et surtout, comme toute société qui sort d’une longue tyrannie, d’un potentiel créatif explosif.

La nouvelle Tunisie peut devenir le hub technologique et créatif du monde arabe.

Billet initialement publié sur Marketing geek

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Jeunes journalistes: qu’est-ce qu’on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ? http://owni.fr/2011/01/10/jeunes-journalistes-quest-ce-quon-attend-pour-ne-plus-suivre-les-regles-du-jeu/ http://owni.fr/2011/01/10/jeunes-journalistes-quest-ce-quon-attend-pour-ne-plus-suivre-les-regles-du-jeu/#comments Mon, 10 Jan 2011 14:45:59 +0000 Morgane Tual http://owni.fr/?p=41689

[Préambule de Jean-Christophe Féraud, sur le blog duquel ce billet a été publié.]

Cela faisait un moment que j’avais envie de savoir comment les jeunes journalistes web-natives vivaient leur entrée dans une profession qui, dans les faits, n’a plus rien d’un rêve de gosse rose bonbon : précarité institutionnalisée en forme de stages et CDD à répétition, productivisme Shiva en guise de vadémécum, règne des petits chefs sur des rédactions web organisées pour le flux et rien que pour le flux, arrogance aveugle des “newsosaures” de l’ère imprimée face à la grande mutation numérique de l’information… La condition faite à cette génération surdiplômée et bien mieux formée que nous ne l’étions est indigne. Et la crise de la presse n’explique pas tout. Notre génération, celle de Gutenberg, a été jusque-là incapable de comprendre et de s’adapter aux enjeux de la révolution Internet. Et dans bien des cas, tue toute velléité d’innovation dans les rédactions en ignorant superbement ce que les jeunes ont à nous apprendre du web. Je voulais lire tout cela sous la plume d’un confrère de moins de 30 ans. Morgane Tual, qui fut ma stagiaire il y a quelques années, a relevé le gant. Et le résultat décoiffe au-delà de mes espérances. Car la “Génération Y” en prend aussi pour son grade… Lisez plutôt le billet de mon invitée.

Envie d’écrire, mais manque d’inspiration. Twitter sert à tout, même à trouver de quoi bloguer. C’est Jean-Christophe Feraud, mon ancien patron aux Échos, vieux con autoproclamé du genre qu’on aimerait voir plus souvent, qui m’a soufflé cette idée de sujet : “Jeunes/vieux journalistes, papier/internet, conflits de génération ?”.

À la lecture, j’étais moyennement emballée. J’en ai un peu marre du branlage de nouille journalistico-twitto-intello du moment. Et puis j’ai changé d’avis. Les vieux journalistes et leurs grands principes, les jeunes journalistes et leur manque de principes, j’en parle souvent, à l’oral. Alors autant l’écrire. En précisant bien qu’il ne s’agit que d’un coup de gueule, et que mes propos sur les cons, vieux ou jeunes, ne sont pas à généraliser.

Les vieux cons

La seule fois où nous avons eu un semblant de cours sur Internet, dans mon école de journalisme, c’est un vieux type, une “pointure”, qui est venu nous faire la leçon. Globalement, j’ai toujours trouvé cela étrange que des personnes de soixante berges viennent nous apprendre la presse, alors qu’ils l’ont fichue en l’air. Ils nous lèguent des médias au bord de la faillite, un mépris généralisé (et bien mérité) des citoyens à notre égard, et nous enseignent la bonne vieille méthode pour continuer.

C’est d’autant plus amusant quand un journaliste d’un certain âge vient nous faire la leçon sur Internet. Ces types, qu’on a balancés à la tête de rédactions web parce qu’ils avaient “du bagage” et l’audace d’avoir ouvert un compte Facebook en 2007, ont tout appris dans des colloques. Ils sont généralement aussi sensibles au web qu’un ornithorynque confronté à une Playstation. Ils nous racontent avec une certitude insensée qu’écrire pour le web, c’est écrire court. C’est mélanger du texte avec de la vidéo et du son. Sinon, ce n’est pas “web”. Encore moins “web 2.0″.

Pas d’accord. En fait, personne ne sait ce qu’est le journalisme web, et finalement, c’est aussi bien. Ce qui est valable aujourd’hui ne le sera plus demain. Nous pédalons tous dans la semoule/choucroute/caviar et, confidence pour confidence, j’adore ça. Chercher à établir des “règles”, des “pratiques”, peut-être que c’est finalement cela qui est anti-web. Néanmoins, qu’un type de 40, 50, 60 ans – ou de n’importe quel âge – ne détienne pas toutes les vérités sur la publication en ligne n’est pas choquant en soi. Ce qui l’est, en revanche, c’est le manque de curiosité. Pendant ces cours, il ne viendrait pas à l’esprit du journaliste-professeur de nous interroger sur nos pratiques, tout occupé qu’il est à se faire mousser devant des jeunes admiratifs. On l’a vu, les vieux journalistes ne sont pas à une contradiction près. Entre le discours et la pratique, il y a un grand canyon.

Entre eux, dans les conférences où ils interviennent, tous tiennent le même discours : les jeunes sont formidables. “Nous avons tout à apprendre des digital-natives, ils ont le web dans le sang, nous sommes très à l’écoute des jeunes et des nouvelles pratiques”. Étrangement, dans les nombreuses rédactions que j’ai fréquentées, personne ne m’a jamais demandé mon avis de (presque) digital-native. Tu peux marquer HTML en capitales rouges sur ton CV, tout le monde s’en tamponne. Pour parader dans des séminaires en expliquant que les jeunes sont formidables, il n’y a aucun problème.

Mais la réalité, c’est que les jeunes moisissent dans des rédactions pourries, payés que dalle, parfois ignorés, rarement remerciés, pour des stages aux limites de la légalité, à bosser comme des bêtes à pondre de la dépêche minable jusqu’à pas d’heure. La remise en question, ce n’est bon que pour les conférences. En vrai, on attend sagement la retraite, en glorifiant le temps d’avant, en accusant le web de tous les maux de la presse, en évitant soigneusement de se sentir responsable. Après nous, le déluge.

Les jeunes cons

Heureusement, la jeune génération est là pour prendre le relais. Non ? Non. La génération Y, c’est surtout la génération plan-plan. Aussi bien pensants que nos aînés. Sauf que les vieux, eux, ont au moins le mérite d’avoir été jeunes une fois dans leur vie, en essayant de tout foutre en l’air dans les années 60-70. Aujourd’hui, on fait du journalisme pour être reconnu socialement, et surtout pas pour faire évoluer le métier. On rêve de parler dans le poste avec le même ton cloné, d’écrire dans des journaux prestigieux et, si on a de la chance et la belle gueule qui va avec, de faire de la présentation à la télévision, summum de la gloire. Quitte à reproduire éternellement le même modèle qui, on le sait désormais, est voué à l’échec. Bref, réinventer le journalisme, très peu pour nous. Dorénavant, les rares à lancer de nouveaux projets ambitieux ont souvent passé la cinquantaine. Et le seul à s’être montré impertinent comme nous, jeunes cons, devrions l’être si nous remplissions notre rôle social, est un vieil anar octogénaire. Aujourd’hui, lancer un média est pourtant devenu techniquement et financièrement bien plus accessible qu’auparavant. Nous disposons d’une liberté immense. D’un espace de jeu illimité. Et nous n’en prenons pas possession. Les quelques journaux lancés par des jeunes motivés, même s’ils sont souvent d’une remarquable qualité, restent néanmoins d’une sagesse désespérante.

Nous sommes la génération CPE. Notre combat, ce n’était pas de changer le monde. Non, nous, tout ce qu’on voulait, c’est un putain de CDI ! En 1968, les jeunes voulaient abolir le travail et le consumérisme. Nous on veut un contrat afin de pouvoir s’acheter une bagnole à crédit. La sécurité. le confort. Surtout ne rien changer. Quid des “digital-natives” ? Dans ce contexte d’insécurité complète du marché de l’emploi, le web est devenu une immense opportunité pour se faire connaître, hors des sentiers-battus du CV à papa. Le “personal branding”, dépasser les mille followers sur Twitter, se faire inviter dans des soirées parisiennes VIP, chics et underground est devenu un but en soi.

Nous passons beaucoup de temps sur ces futilités, nous éloignant chaque jour davantage du reportage de terrain, de l’enquête et, surtout, des gens. De tous ces gens qui ne savent pas ce qu’est le web 2.0, encore moins ce qu’est Twitter, qui s’en foutent et qui, en plus, ont sans doute bien raison.Qu’est-ce qu’on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ? Qui prendra la suite de Siné, pour chier dans la colle, à notre façon ?

Billet initialement publié sur Mon écran radar

Image CC Flickr squidtestes et infomatique

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Octobre 2009, au rendez vous des rétrogrades http://owni.fr/2009/10/31/octobre-2009-au-rendez-vous-des-retrogrades-finkielkraut-plenel-seguela/ http://owni.fr/2009/10/31/octobre-2009-au-rendez-vous-des-retrogrades-finkielkraut-plenel-seguela/#comments Sat, 31 Oct 2009 18:11:23 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=5061 Hoog

Décidément, il se passe quelque chose d’étrange en France en ce moment. De plus en plus de gens s’affirment comme de fieffés conservateurs. La droite nous y avait habitués. Mais nouveauté, c’est maintenant au tour d’une certaine frange non négligeable de l’intelligentsia.

Nous avons vu les artistes défendre Hadopi et la réduction des libertés numériques pour préserver leurs revenus (c’est ce qu’ils croyaient). Nous avons vu la gauche ne pas trop se mouiller dans cette histoire, et même parfois déraper. Et puis est arrivé octobre, ce fut une véritable avalanche de déclarations catastrophiques : Wolton, Finkielkraut, Séguéla, Plenel, Klein… Notre monde se désintègrerait et plus rien ne serait à sauver. Il faudra que quelqu’un ait le courage d’écrire l’histoire de cet octobre noir.

À vrai dire, je me réjouis. Tout ce beau monde comprend enfin qu’il se passe quelque chose d’important, quelque chose d’historique qu’ils ont raté. Alors ils cherchent à dénigrer. Un des derniers en date, Emmanuel Hoog, avec son livre Mémoire année zéro. J’avais vu l’annonce passer, j’avais laissé passer, un peu fatigué des rabat-joies. Puis aujourd’hui, Bertrand Keller me site et site Hoog en même temps. Du coup, je lis son interview dans Le Monde. Je respire, le bonhomme est plus modéré que ceux déjà épinglés.

Notre demande de mémoire a grandi plus vite que notre capacité à produire de l’histoire, dit Hoog. Voilà ce que j’appelle l’”inflation mémorielle”. Trop de mémoire tue l’histoire. Paradoxalement, faute de repères historiques clairs, nous nous réfugions dans la nostalgie, aggravée aujourd’hui par le phénomène d’Internet, qui fait mémoire de tout. Désormais, le concept s’est privatisé : on ne se contente plus du quart d’heure de célébrité promis à chacun par Andy Warhol, tout le monde veut sa part de mémoire, à travers lui-même, à travers le numérique.

Mais l’histoire est en mouvement, plus que jamais. Si je ne me trompe pas, si nous passons de l’Histoire au Flux, c’est un évènement extraordinaire qui est en train de se jouer. Et ce ne serait pas de l’histoire ça ? Et si avec ce passage au Flux nous réussissions à adresser quelques problèmes majeurs comme la pauvreté ou les dérèglements écologiques ? Comme toujours, il faut juste apprendre à regarder l’histoire dans la vie. Notre histoire n’est tout simplement pas écrite, c’est à nous de la vivre d’abord, puis de l’écrire en suite.

Quelle importance qu’il y ait inflation mémorielle ? Il y a déjà des siècles qu’un homme n’a aucune chance de lire tout ce qui a été produit, de voir tout ce qu’il y a à voir. Qu’il y ait cent fois plus, mille fois plus, ne change rien. Nous donnons simplement plus de chance à la sérendipité (je développe dans mon prochain livre).

Hoog voudrait que soit mise en œuvre une politique de la mémoire. Je commence à me méfier même si j’admets qu’on ne peut pas laisser faire n’importe quoi à Google. Mais eux, au moins, ils bossent. Une politique de la mémoire serait de ne pas empêcher tel ou tel de mémoriser, mais de participer à ce mouvement, de maximiser la duplication des données pour nous mettre à l’abri en cas de crash, de catastrophe, de dictature…

Au final, Keller pose une question qui me paraît beaucoup plus importante que celle de Hoog.

Pour autant nous pouvons nous poser la question de savoir si notre famille, nos amis, notre société conservent une histoire suffisamment partagée pour que nous puissions nous comprendre et continuer à communiquer.

Je crois justement que le flux rend indispensable les histoires, il les rend plus nécessaires que jamais car il n’y a plus pour chacun une histoire pré-tracée. Aucune case sociale ne nous attend. Nous devons nous construire un chemin de vie et les histoires des autres participent à notre initiation.

» Article initialement publié sur Le peuple des connecteurs

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