OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La ligue de défense de l’Internet http://owni.fr/2012/07/04/la-ligue-de-defense-de-linternet/ http://owni.fr/2012/07/04/la-ligue-de-defense-de-linternet/#comments Wed, 04 Jul 2012 14:16:56 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=115233

Le 18 janvier, un blackout massif frappait Internet. Reddit, WordPress, Tumblr ou des géants comme Wikipédia et Google ont rendu tout ou partie de leur site inaccessible. Il s’agissait de protester contre le Stop Online Piracy Act (Sopa) et le Protect IP Act (Pipa), deux projets de loi ayant pour objectif de renforcer les mesures de protection du copyright. Suite au battage médiatique suscité par cette intense mobilisation, les législateurs ont reculé.

Blackout sur l’Internet américain

Blackout sur l’Internet américain

Pour protester contre une loi anti piratage, des sites américains, dont Wikipédia, sont aujourd'hui inaccessibles. Un ...

Acte de naissance d’un véritable contre-pouvoir aux lobbies des industries culturelles, habitués des arcanes de Washington, ce combat se structure formellement avec la création imminente d’une “Ligue de défense d’Internet” (The Internet Defense League). Elle a pour objectif de “défendre Internet des mauvaises lois et des monopoles”. Et mise notamment sur l’implication de chaque individu dans la propagation de ses messages.

Parmi les membres de la Ligue, on retrouve Reddit et WordPress mais aussi des ONG comme AccessNow ou l’Electronic Frontier Foundation. L’initiative vient des membres de Fight For The Future. Cette jeune association avait déjà coordonné une grande partie de la campagne pour le blackout. Financée par une fondation et les dons de particuliers, elle compte aujourd’hui six salariés, qui ont choisi l’emblème du chat mignon pour cette Ligue qui emprunte à l’univers des superhéros.

Entretien avec l’un de ces nouveaux activistes d’Internet, Douglas Schatz.

Qu’avez-vous appris du combat contre Sopa ?

Ce combat nous a montré qu’il y a des millions de gens profondément attachés à un Internet libre et ouvert. L’omniprésence d’Internet a créé une culture collective qui va à l’encontre de formes d’organisation plus traditionnelles. Mais cette culture n’était pas vraiment en mesure de s’organiser et d’unifier son message. C’est là que nous sommes entrés en jeu. Nous n’avons pas créé l’opposition à Sopa, nous l’avons fédérée et amplifiée.

L’implication d’entreprises comme Reddit est-elle essentielle à votre action ?

Ce genre d’entreprise est extraordinaire : elles ont grandi de façon très organique. La communauté des utilisateurs de Reddit est vaste, enthousiaste et (presque) coordonnée. Mais Reddit, en tant que site, n’a pas la possibilité de s’adresser aux représentants politiques. En utilisant conjointement le nombre et l’enthousiasme des utilisateurs de Reddit et nos outils de communication, nos campagnes peuvent atteindre massivement Washington D.C.

“Les gens qui ont liké, tweeté ou partagé des images ou des liens ont contribué à faire de cette loi un problème grand public”

Avez-vous l’impression d’encourager le “slacktivisme” ?

Le terme “slacktivisme” est assez dépourvu de sens. L’organisation et l’activisme en ligne sont essentiels à la culture et au processus démocratique. Cela permet aussi d’augmenter la taille et l’impact des façons traditionnelles de s’organiser. Les outils développés au cours des luttes contre Sopa et Pipa ont mobilisé un grand nombre d’individus qui ont communiqué avec leurs réseaux personnels de façon traditionnelle, ou en utilisant les réseaux sociaux.

L’essentiel est qu’ils aient été très efficaces dans la diffusion du message aux députés et sénateurs. Cela nous permet de créer une coalition extrêmement large d’utilisateurs d’Internet, sans se soucier de leur connaissance technique ou de leur affiliation politique.

Dans l’Amérique politique moderne, la prise de conscience de l’opinion publique constitue la moitié de la bataille. Sopa était une loi autour de laquelle il n’y avait pas trop de battage médiatique. Elle est passée rapidement et silencieusement par des comités afin d’éviter la confrontation. Les gens qui ont “liké”, tweeté ou partagé des images ou des liens ont contribué à faire de cette loi un problème grand public.

Quelle est votre réponse à ceux qui pensent que les activistes sur Internet travaillent main dans la main avec les fournisseurs d’accès et les géants de l’Internet (Google ou Facebook) dans le but de déréguler le marché et de causer du tort aux industries culturelles ?

Notre organisation travaille à la défense d’Internet, pour l’intérêt public. Google, Facebook, Twitter et autres sont des entreprises qui possèdent beaucoup de pouvoirs. Ils travaillent sur des problématiques en lien avec leurs intérêts d’entreprise. Il se trouve que nos intérêts convergent en ce qui concerne Sopa. Ce ne sera peut-être pas le cas sur d’autres questions. Nous n’avons pas réussi à contacter qui que ce soit chez Facebook, nous avons eu peu de contacts avec Twitter et nous n’avons pas demandé à Google de participer au blackout. Aux États-Unis, de nombreux fournisseurs d’accès ont des intérêts dans l’industrie de production de contenus. Ils n’ont pas été particulièrement réceptifs à nos actions.

Nous ne prônerons pas la dérégulation d’Internet. Nous pensons que les droits et les libertés essentiels auxquels nous avons accès sur Internet devraient être protégés. Internet a complètement révolutionné la société moderne et donne aux gens un point d’appui pour s’engager.

“Les gens seront plus enclins à se battre pour Internet si leurs activités ordinaires sont menacées.

Quels sont vos plans pour l’Europe ?

La Ligue de Défense d’Internet se doit de défendre Internet, quel que soit le pays d’où provient la menace. N’importe qui, n’importe où, peut devenir un membre de la Ligue, et pourra nous pointer de potentielles menaces. De plus, nous sommes en lien avec d’autres organisations comme la Quadrature du Net ou Avaaz, qui font déjà un très bon boulot en Europe.

Pensez-vous qu’il y ait, comme certains le disent, une “guerre au partage” ?

La “guerre au partage” pourrait être mieux décrite comme un combat contre des modèles de distribution alternatifs. Nous, en tant que société connectée, sommes en train de nous diriger vers une communication par “le cloud”. Ce n’est qu’une forme de communication de plus. Mais des formes plus anciennes de distribution (Hollywood et la Motion Picture Association of America, MPAA) sont engoncées financièrement dans leurs vieux modèles. Et ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour arrêter les progrès technologiques.

Un chat mignon est-il plus efficace qu’un “batsignal” ?

Nous avons décidé d’utiliser un chat puisque les chats sont la mascotte non-officielle d’Internet. Selon le chercheur américain Ethan Zuckerman et sa “théorie du chat mignon de l’activisme numérique”, les gens seront plus enclins à se battre pour Internet si leurs activités ordinaires sont menacées.


Photo sous licence creative commons par Angelina

]]>
http://owni.fr/2012/07/04/la-ligue-de-defense-de-linternet/feed/ 7
“L’auteur aurait intérêt à être piraté” http://owni.fr/2012/05/21/thomas-cadene-auteur-aurait-interet-a-etre-pirate/ http://owni.fr/2012/05/21/thomas-cadene-auteur-aurait-interet-a-etre-pirate/#comments Mon, 21 May 2012 16:21:12 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=108880 Les autres gens. Du modèle économique de l'édition en ligne en passant par les droits d'auteur, le statut de la création en France ou Twitter et Hadopi, entretien à bâtons rompus. ]]>

Les autres gens ©Aseyn

Thomas Cadène est l’auteur d’une bande-dessinée dont le modèle a pu surprendre. Les autres gens, c’est une “bédénovela”, une sorte de soap opera dessiné, une série portée par des personnages attachants et un scénario bien ficelé. Jusque-là, rien d’exceptionnel. Sauf que cette bédé est née de, sur, et par Internet. Et qu’elle réunit une centaine d’auteurs. Depuis le 1er mars 2010, Thomas Cadène, qui porte le projet, en publie un épisode quotidiennement. Si la série s’arrête au mois de juin sur Internet, l’éditeur Dupuis continuera à en assurer la publication papier.

Rencontre avec cet acharné de travail, qui, quand il fait ses pauses, s’engage dans de grands débats sur Twitter.

“C’est Internet qui a fait de moi un auteur professionnel.”

Comment tout ça a commencé ?

C’est Internet qui a fait de moi un auteur professionnel. Il y a près de 10 ans, j’ai fait mon premier feuilleton numérique. C’était une chose un peu folle et absurde, écrite, que je diffusais par mail. Suite à une période un peu chaotique, à l’issue de mes études, j’ai décidé d’envisager l’hypothèse que ce que j’aimais tellement faire (le dessin, raconter des histoires) puisse faire office de projet professionnel. Je n’avais aucune porte d’entrée dans ces milieux.

Les autres gens ©Florent Grouazel

Quand on n’a rien, aujourd’hui, on a toujours un peu… Internet.

Bref, je suis autodidacte donc je suis arrivé un peu sur la pointe des pieds et j’ai naturellement commencé sur un forum, le Café Salé, probablement autour de 2005. Là j’ai découvert la richesse et les potentialités du communautaire, le contact varié avec des amateurs, des professionnels. L’aspect très concret de la rencontre virtuelle. J’ai des amis très importants pour moi qui sont issus de cette époque et mes deux premières BD je les ai signées grâce au forum.

En somme, le contexte numérique m’est très familier mais je ne suis pas du tout un geek. Ni culturellement, ni techniquement. Simplement ça fait partie de ma vie, je travaille sur Google docs, je discute avec mes dessinateurs sur Facebook ou Gmail, je fais mes pauses sur Twitter et j’y prends pas mal de contacts et rendez-vous pro. Pour le dessin, j’utilise une palette même si, depuis un moment, je me focalise davantage sur un travail d’écriture.

Comment tu as fait pour monter le modèle économique des Autres gens ?

Au départ c’est une SARL avec de l’investissement personnel, familial et amical. Moins de 25 000 € en tout pour lancer la machine. Le modèle économique choisi est très simple, ce sont les abonnements. Quand Dupuis est arrivé pour acheter les droits c’était bienvenu, mais il faut savoir que la moitié des droits reviennent aux auteurs. Aujourd’hui Les autres gens, c’est un animal qui fonctionne sur deux pattes : une patte numérique et une patte papier.

Mais, contrairement à ce qu’on a pu lire ici ou là, cet aspect là n’est pas du tout la démonstration de l’invalidité du modèle économique strictement numérique. Loin de là. La limite de ce projet, c’est moi. C’est ça qui a empêché de rester strictement numérique. Moi, parce que j’ai été trop seul à porter tout le bordel : je suis à l’écriture, à l’organisation du planning, à l’administratif, et aussi à la communication, à la gestion des galères des abonnés etc. Il y a quand même une centaine d’auteurs qui sont concernés et 1200 abonnés en moyenne. La limite des Autres gens, c’est pas le concept, il est bon, merci, la limite des Autres gens, c’est moi. Quand t’es partout, t’es souvent nulle part, tu passes à coté de plein d’opportunités, tu fatigues, tu perds du temps à apprendre, tu fais parfois pas très bien ce qu’avec du temps aurait pu être fait mieux, etc.

Les autres gens ©Sacha Goerg

Prenons un exemple : mettre Les autres gens en application sur iPhone. Au début, on a pensé les cases pour, jusqu’à ce que j’apprenne qu’Apple ne voulait pas voir le moindre bout de peau : or, il y a du cul tout le temps. Ils sont affreux là-dessus. Même la simple nudité, c’était impossible. Je crois qu’ils sont en train de changer un peu mais bon, à l’époque c’était inenvisageable. Voilà comment on se retrouve avec un débouché qui saute. Mais ceci dit, je n’allais pas renoncer au coté cru, frontal des Autres gens pour faire plaisir aux puritains, donc c’est un peu différent.

Tu n’es t’es pas intéressé aux mécanismes de crowdfunding ?

On est plus proche de Mediapart ou d’Arrêt sur Images. J’ai eu des contacts avec Ulule mais je ne sais pas trop quoi leur proposer. En revanche, mon pote Wandrille y a proposé “Coups d’un soir”, et ça a très bien marché. C’est bien, je suis curieux de ce système, je le trouve très intéressant, très prometteur en ce qu’il permet de préfinancer. Mais sur Les autres gens j’étais parti sur le système des abonnements. Ceci dit il est clair qu’au niveau des seuls abonnés, comme je le laissais entendre avant, on était un peu insuffisant financièrement.

Et tu continues Les autres gens ?

J’arrête la production en juin, je suis fatigué. Tous les jours un nouvel épisode, c’est tous les jours une nouvelle galère à gérer. Mais j’en vis (ou presque) depuis deux ans, j’ai distribué des droits, je suis content du chemin qu’on a parcouru, des rencontres extraordinaires que j’ai pu faire grâce à ça. Ça n’aura pas été inutile.

Et puis on est pas mort. On n’arrête pas l’exploitation, on a toujours des idées, des envies…
Maintenant il faut que les autres révolutionne le truc. Il y a les projets d’auteurs en BD numérique qui arrivent : La revue dessinée, Le professeur Cyclope, j’ai hâte de voir ce qu’ils vont proposer. Quels modèles, quelles options narratives. Et puis il faut que les éditeurs s’empare du sujet. Il est temps.

Leur problème (du moins pour une partie) c’est qu’ils ne savent pas trop comment monétiser le web parce que c’est un écosystème qui ne leur est pas familier. Ils maîtrisent le papier et sa chaîne de distribution, pas encore Internet. À de rares exceptions près comme Didier Borg (qui est chez Casterman et qui a lancé Delitoon) ou Yannick Lejeune chez Delcourt qui connait très bien le sujet.

Et aucun éditeur en France ne se lance dans un projet numérique un peu solide ?

Delcourt, avec Yannick l’a fait avec le projet de Marc Antoine Mathieu, qui s’appelle 3 secondes. C’est le même récit que le récit proposé en album mais avec une forme narrative différente, une sorte d’alternative intelligente. Pour un auteur assez conceptuel et “joueur”, ça fonctionnait bien. Mais c’était présenté comme un bonus, ils n’ont pas pris le risque de l’entrée dans l’économie du numérique avec cette expérience.

Tu penses quoi des mécanismes de financement de la création numérique dans ton secteur ?

J’ai fait Les autres gens, donc j’ai plongé de manière plus concrète dans les aberrations de financement de la création. Le projet a été monté sans subventions. Le Centre national du livre (CNL) n’a pas pu l’aider et dans le même temps, les éditeurs recevaient des sommes importantes de ce même CNL pour numériser les livres. C’est souvent aux gros éditeurs que les subventions au numérique bénéficient ou aux projets prestigieux.

Alors qu’Internet et la BD, c’est une histoire d’amour, non ?

Mais évidemment ! Les auteurs se sont rapidement emparés d’Internet et des formats numériques sans aucune difficulté. Partout dans le monde. Et aujourd’hui, dans les grosses stars d’Internet, il y en a une partie qui est issue du monde de la BD. Boulet par exemple, ou Pénélope. Ce sont des gens qui sont devenus des stars sur Internet, qui ont un rapport très naturel à ça, très complice avec leur public, intelligent dans leur approche à la fois humaine et graphique du medium. Et il ne se passe toujours rien concrètement du côté des éditeurs. On n’est pas dans un pays qui favorise particulièrement des innovations de type marchand hors des structures existantes. Du coup les gens inventent leur blog ou leur format mais ça ne fait pas manger : l’objectif reste toujours de se faire éditer.

“La gratuité, l’échange, ça fait aussi partie d’Internet.”

Pour dépasser ça, personne ne pense à monétiser l’audience de son site ?

Certains qu’Internet a propulsé considèrent que mettre de la pub ou monétiser leur site c’est ne pas respecter son lecteur. C’est quelque chose que je comprends tout à fait. Il faut dire qu’avec leur audience, leurs publications papiers cartonnent ! C’est un modèle économique et créatif valide et pertinent. Ce n’est pas parce qu’ils sont sur le net qu’ils ont une sorte d’obligation d’en vivre. La gratuité, l’échange, ça fait aussi partie d’Internet et c’est d’ailleurs un de ses aspects les plus intéressant.

Le problème pour les éditeurs, c’est qu’un jour ces auteurs, parce qu’ils ont le talent, l’expérience et le lectorat, finiront par ne plus avoir besoin d’éditeurs. Quand tout le monde sera équipé en tablette, les auteurs-stars pourront négocier de conserver leurs droits numériques et tout vendre sous forme d’applications ou d’ebook ou que sais-je.

Quand tu as un site consulté par 50 000 ou 100 000 personnes par jour, tu n’as plus besoin d’intermédiaires. Le problème c’est qu’ils sont trop importants pour être significatifs pour toute la profession. C’est comme de dire que JK Rowling a révolutionné l’édition numérique, ou Radiohead le marketing sur Internet. Ce sont des gens qui ont une audience telle qu’ils peuvent se passer d’intermédiaires mais dont les succès (ou même les échecs) sont aussi atypiques qu’eux. Ils sont des systèmes autonomes.

“J’étais très opposé à loi Création et Internet.”

Au-delà des aspects techniques, tu t’intéresses aussi aux rapports entre numérique et politique, particulièrement en ce qui concerne les droits d’auteur, et la situation de la création.

Avant même de lancer Les autres gens et de faire du numérique d’un point de vue professionnel, j’étais très opposé à loi Création et Internet, qui a créé la Hadopi. Pour cette raison, en tant qu’auteur, les positions favorables du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac) me posaient vraiment un problème.

Heureusement la branche BD y était opposée. Ils ont sauvé l’honneur. Sur la question de la défense syndicale de l’auteur, de l’accompagnement dans le litige, ou dans la jungle des contrats, le SNAC -et particulièrement le SNAC BD- est très utile et fait réellement un boulot de dingue. Je suis nettement plus circonspect sur leurs prises de position plus générales faites au nom des auteurs.

Concrètement les créateurs n’ont pas vraiment d’instances représentatives qui me paraissent très pertinentes. C’est le problème des activités économiquement bancales comme la littérature, la chanson ou la BD. Ceux qui en vivent se défendent (et ils ont bien raison) ceux qui n’en vivent pas ne savent pas trop et ceux qui sont entre les deux sont un peu perdus et fort peu audibles.

On l’a vu avec la question de la numérisation des œuvres indisponibles, qui s’apparente à une privation de chances, d’opportunité pour les auteurs. Là encore les pouvoirs publics ont trouvé des soutiens qui m’ont un peu surpris. Pour moi cette loi est une aberration (en plus d’être un peu stupide, ce qui la rapproche du cas Hadopi) mais savoir que ceux qui prétendent porter la voix des auteurs la défendent, ça me fout un peu hors de moi.

Les autres gens ©Loic Sécheresse

En réalité, la plupart des auteurs sont tout seuls. La plupart ne touchent rien, ils ne vivent pas de leurs droits, ne sont pas syndiqués, ne pigent rien parce que tout est fait pour être imbitable. D’ailleurs si on voulait aider la création, faudrait déjà commencer par réformer un peu l’aspect administratif et l’aspect gestion de sécu de celle-ci… Si on y ajoute les scandales de type Sacem, l’auteur qui n’a pas envie de pleurer, il est rare.

“L’auteur aurait tout intérêt à être piraté.”

Ce que je veux dire c’est que ceux qui prétendent parler pour nous (et qui parfois le font très bien, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit) n’ont pas du tout le même point de vue que nous, par nature. Nous ne sommes pas les mêmes. Un dirigeant de société de gestion de droit, lui, il veut des droits à gérer. L’écrivain, le dessinateur ou le parolier qui rapporte 30 € ou 150 € de droits par an ça l’intéresse parce que ça fait parti d’un tout. Alors il explique qu’il faut Hadopi pour défendre cet auteur. Mais putain, l’auteur, qu’est ce qu’il s’en fout du piratage ! 50 € ou 200 € ! Il aurait tout intérêt à être piraté, à rencontrer son public, à diffuser son œuvre. Hadopi dans ce cas là ne défend pas l’auteur mais défend la masse d’argent à gérer, le pouvoir.

Que ce soit clair, je ne suis pas un fanatique du piratage (même s’il ne me fait pas peur). Je suis simplement contre la réponse Hadopi à cette situation là. Quand je lis des abrutis défendre le piratage avec des arguments pathétiques de mauvaises fois en mode enfants gâtés, j’ai des envies de baffes mais il y aussi des débats passionnants sur la circulation des œuvres, sur le partage, sur la découverte. Ces débats, je n’aime pas qu’on les réduise à une caricature du “le pirate est un criminel”. C’est parfois un con, c’est souvent un passionné, c’est la plupart du temps ni trop l’un, ni trop l’autre. Alors ça implique un regard un peu plus précis sur une situation un peu plus complexe. Et la réponse Hadopi est à cette aune là d’une bêtise qui confine à l’exploit.

Qu’est ce qui te gênait principalement dans cette loi ?

Dans une première vie j’ai eu une maîtrise en droit. Pour moi, Hadopi piétinait des principes fondamentaux. Déjà, à mes yeux ça suffisait à l’invalider. Ensuite son idée inavouée et son problème majeur c’était tout de même qu’on opposait soudain la création à son public. C’est une bêtise.

Ce rapport au public m’est apparu comme très révélateur. On a peur du public, on ne s’adresse plus à lui, on le craint. On a besoin de lui mais on le tance. Il y a quelque chose qui cloche là dedans. Ce n’est pas Internet qui a rendu les métiers de la création incertains et difficile. Toutes les études le démontrent. Par ailleurs Internet, grâce à un nouveau rapport au public aurait même plutôt tendance à émanciper le créateur. Où sont ces débats là ?

Et enfin, il y a le problème, la question, la grande question du droit d’auteur. La dérive des droits d’auteur vers l’idée de rente. Par exemple, je ne comprends pas pourquoi mes petits-enfants devraient bénéficier de mes droits d’auteur pendant 50 ou 70 ans après ma mort. Alors que tout le monde sait bien que cette disposition ne permet pas d’éviter des trahisons de l’œuvre mais qu’elle permet juste de les privatiser.

Les autres gens ©Didier Garguilo

La réalité, c’est qu’il s’agit de défendre les intérêts de l’éditeur et des héritiers, pas ceux de l’œuvre. Les premiers bénéficiaires de la soi-disant protection des auteurs, ce sont les éditeurs (et les sociétés de gestion de droits). Ce n’est ni la création, ni la défense de l’auteur. Une fois mort, l’auteur, il s’en fout pas mal.

Alors certes j’aurais du mal à y renoncer parce que j’ai envie de transmettre les fruits de ce que je fais. Mais j’ai conscience que ça n’a rien d’une évidence et que les motifs qui sous-tendent ça ne sont que patrimoniaux, ils ne sont pas moraux, artistiques ou que sais-je. Ce que je veux dire c’est que ce sont des questions qu’il va bien falloir finir par se poser.

“Je ne suis pas contre le droit d’auteur.”

Qu’on comprenne bien : je ne suis pas contre le droit d’auteur. Sûrement pas. Sans lui je ne mange plus. C’est un système habile, intelligent. Mais très vieux et parfois complètement à coté de la plaque.

Je vois pas pourquoi on ne pourrait pas dépouiller, trucider, piller mon œuvre après ma mort. Enfin si quelqu’un a envie, pour peu que mon œuvre existe encore un peu.

Le pillage, la relecture, tout ça nourrit l’art. Toute l’histoire de l’art est fondée là- dessus.

Non seulement tu as créé les autres gens sur Internet, mais en plus tu y es assez actif et semble t’intéresser à de nombreux sujets. Quel est ton rapport au numérique ?

Techniquement, je n’y comprends rien. J’utilise les outils mais je suis terrifié à l’idée d’apprendre. Enfin, terrifié, disons que je n’ai pas une curiosité terrible vis à vis de tout cet aspect là et que je culpabilise parce que le nouveau discours c’est “il faut apprendre à coder, c’est le nouveau langage, par lui viendra notre libération” tout ça, tout ça. Donc Il va probablement falloir que je me décide à me familiariser avec ça, mais pour l’instant je reste pragmatique : je demande aux gens compétents et on se répartit les tâches.

En revanche, tout ce qu’il y a autour m’intéresse, forcément. Parce que j’y suis né (en tant qu’auteur, dans le numérique), parce que j’y ai crée mon projet le plus fou et parce qu’à cette occasion j’ai découvert les galères, les peurs, les frilosités et les implications, bien au delà de mon seul domaine.

Qu’est-ce qui t’a fait passer du droit à la bande-dessinée ?

Je gardais en tête, pendant mes études, la phrase : “le droit mène à tout à condition d’en sortir”, non pas parce que je n’aimais pas ça, j’adorais, mais parce que je ne voyais pas ce que j’allais bien pouvoir y faire, professionnellement. Mais j’ai gardé le goût de la précision et de l’argumentation… Sur Twitter ça me conduit à de nombreux tweet-clashs plus ou moins ridicules.

C’est utile Twitter ?

Je suis un convaincu, c’est incroyablement utile. Ça permet d’ouvrir un peu ses perspectives et de rencontrer des gens intéressants. Ça ne marche pas à chaque fois, mais c’est tout de même plus facile. Il y a des gens qui m’ignorent ouvertement. Et il y a ceux avec qui je me sens OK pour aller vers le tweetclash ou le dialogue.

Les autres gens ©Florent Grouazel

Et puis j’essaie de m’impliquer dans les débats qui me concerne. Sur le numérique par exemple. J’ai ramé mais j’ai fini par être repéré par Fleur Pellerin ou Laure de La Raudière par exemple pendant la campagne et d’avoir des échanges intéressants sur ces sujets. En parlant de la campagne, j’ai été un peu atterré tant j’ai trouvé sur les questions de la création numérique le candidat socialiste trop prudent et le candidat UMP caricatural et bloqué.


Illustrations de la BD Les autres gens, via Thomas Cadène. Tous droits réservés.

]]>
http://owni.fr/2012/05/21/thomas-cadene-auteur-aurait-interet-a-etre-pirate/feed/ 17
Le numérique socialiste se cherche http://owni.fr/2012/05/15/le-numerique-socialiste-se-cherche/ http://owni.fr/2012/05/15/le-numerique-socialiste-se-cherche/#comments Tue, 15 May 2012 10:33:56 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=110209

Le changement c’est maintenant ! Juré, c’est la dernière fois qu’on se moque un peu du slogan de campagne du nouveau Président. Mais à propos d’Internet, c’est trop tentant : les thématiques numériques ont déserté débats, échanges et empoignades du dernier marathon électoral. Certes un sursaut a eu lieu dans les toutes dernières semaines, l’occasion pour nous de dresser un comparatif des e-programmes des différentes personnalités du PS, mais l’essor s’est arrêté là.

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

[visu] En 2012, Internet n’existe pas

Visualiser en un coup d’œil les propositions des candidats sur le numérique. C'est ce que OWNI vous propose en ...

Pour le président entrant, le défi s’impose d’une meilleure intégration des questions numériques dans l’agenda du gouvernement. Mais avant de plonger les mains dans le cambouis, reste à savoir à qui on va confier les clés à molette du Net. Et là, ça se corse.

Incarnation

La question qui agite les observateurs du réseau porte sur celles et ceux qui incarneront le quinquennat numérique qui vient. Pendant la campagne, l’activité de Fleur Pellerin a marqué les esprits des caciques du secteur numérique. De conférences en tours de table, la conseillère référendaire à la Cour des Comptes a réussi en quelques mois à s’approprier un sujet, et un secteur. Secteur qui déjà la voit en Éric Besson au féminin, chargée de l’économie du numérique sous l’autorité d’un ministère de plein droit.

La principale intéressée, comme l’ensemble de l’équipe de campagne, est entrée depuis quelques jours dans un mutisme presque total. Mais n’avait pu s’empêcher au lendemain de la victoire de déclarer :

Je pense que naturellement, toutes les personnes qui ont fait partie de l’équipe de campagne sont des postulants naturels, [...] soit de l’équipe gouvernementale soit des conseillers proches. [...] Je ne ferme aucune porte.

L’Internet socialiste

L’Internet socialiste

Nommée récemment responsable du pôle numérique de François Hollande, Fleur Pellerin connaît une arrivée agitée dans ...

Quelque soit son poste (ministre, ministre déléguée, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, conseillère technique à l’Élysée), il est fort probable que l’on recroisera Fleur Pellerin au cours du quinquennat qui s’ouvre. Sans doute pour s’occuper de ce fameux “écosystème numérique”, qui va des start-ups à la régulation de l’économie du secteur.

Côté culture, c’est le flou. A l’instar des valse-hésitations du nouveau président autour d’Hadopi, les hypothèses se sont multipliées à la vitesse d’un téléchargement de film en P2P. L’ancien président d’Arte Jérôme Clément a un temps été pressenti pour occuper le maroquin culturel. Actif conseiller de l’ombre de l’équipe de campagne, il est allé jusqu’à rédiger en grande partie la tribune du candidat Hollande sur ces questions.

A l’heure actuelle, deux scénarios animent les dîners en ville et les réseaux : soit Aurélie Filippetti obtient un ministère de la culture atrophié (la communication disparaîtrait et la rue de Valois serait le ministère du spectacle vivant et du patrimoine), soit Martine Aubry hérite d’un grand ministère inédit regroupant culture, numérique et éducation ou jeunesse.

Des rumeurs qui traduisent la difficulté constante des gouvernements à se saisir des problématiques ayant trait au réseau.

Gouvernance

Au-delà des questions de personnes, la façon dont le numérique sera traité au niveau institutionnel doit également préoccuper le nouveau président de la République et ses équipes. L’enjeu est de taille : intégrer à un gouvernement une technologie transversale et des usages qui touchent autant les pratiques culturelles que la santé, la liberté d’expression ou la protection des consommateurs, tout en constituant un secteur économique en pleine expansion. Une gageure, donc.Qui a fait l’objet de multiples ajustements institutionnels au fil des années.

Hollande entreprend la culture

Hollande entreprend la culture

Le flou de l'après Hadopi, c'est du passé. Dans une tribune qui paraît dans Le Monde, le candidat socialiste ...

Un article d’Electron Libre en fait la liste : neuf ans de coordination interministérielle, puis cinq ans de pilotage gouvernemental identifié (un secrétariat d’État auprès du Premier ministre d’abord puis un ministère auprès du ministre de l’économie et des finances). Avant de défendre une idée poussée notamment par Fleur Pellerin : la création d’un “e-Premier ministre”, conseiller spécial du président en matière numérique.

Cette option dénoterait une importante volonté politique de mettre le numérique au cœur du projet du nouveau président, en évitant les querelles de clochers entre administrations. Pourtant, pas sûr qu’en dehors des spécialistes du secteur l’enjeu soit perçu comme essentiel.

D’autant qu’avant de s’attacher à intégrer le numérique dans un dispositif gouvernemental, il s’agira sans doute de rationaliser l’action des autorités publiques ayant en charge des bouts de réseau. Cnil, Arcep, Hadopi, Arjel, CSA : la liste est longue et le serpent de mer de la fusion de certaines de ces autorités refait plus que jamais surface.

Une seule certitude : autorités, conseillers ou membres du gouvernement essaieront, une fois en place, de défendre leur pré carré.


Illustration par Share (CC-sa) remixée par Ophelia Noor pour Owni /-)

]]>
http://owni.fr/2012/05/15/le-numerique-socialiste-se-cherche/feed/ 1
La licence globalement morte au PS http://owni.fr/2012/04/27/la-licence-globalement-morte-au-ps/ http://owni.fr/2012/04/27/la-licence-globalement-morte-au-ps/#comments Fri, 27 Apr 2012 12:32:58 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=108142

Si je suis élu, il n’y aura pas de légalisation des échanges hors marché, ni de contribution créative.

La phrase est définitive. Elle émane de François Hollande, dans sa lettre datée du 19 avril à l’Association pour la lutte contre le piratage audiovisuel (Alpa). En réponse aux inquiétudes de Nicolas Seydoux, président de la vénérable association et du groupe Gaumont, le candidat réaffirme ce qu’il avait déjà esquissé dans une tribune au Monde : les socialistes n’ont pas l’intention de s’aliéner le monde de la culture, traditionnel soutien du parti à la rose.

Hollande entreprend la culture

Hollande entreprend la culture

Le flou de l'après Hadopi, c'est du passé. Dans une tribune qui paraît dans Le Monde, le candidat socialiste ...

Tant pis donc, si le candidat socialiste enterre une idée qui avait à peine eu le temps d’accéder à l’entourage d’un potentiel futur président de la République. La récréation est terminée, et ce que l’on peut considérer comme une ultime prise de position sur le numérique avant le deuxième tour douche définitivement les espoirs des défenseurs d’une remise en question des droits d’auteur à l’ère numérique.

Lobbys

Il y a quelques mois, les jeux étaient plus ouverts, mais une campagne présidentielle encourage l’expression décomplexée des groupes d’intérêt. De notre poste d’observation numérique, ce sont les industries culturelles qui ont fait preuve du plus grand activisme à l’égard des  candidats, et surtout des deux principaux.

On en avait perçu les prémices au cours des bisbilles qui ont opposé Aurélie Filippetti, chargée du pôle culture dans l’équipe de campagne et Fleur Pellerin, sa camarade en charge de l’économie numérique. La cristallisation des tensions s’est faite autour de l’inévitable Hadopi. Et, au-delà, d’une possible remise à plat du droit d’auteur, qui pourrait aller de paire avec le fait de légaliser l’échange d’œuvres culturelles protégées entre individus. Les deux jeunes femmes se disputaient d’ailleurs le droit de s’exprimer sur l’avenir de la Haute autorité.

Le débat engagé, les représentants du monde culturel se sont précipités dans la brèche.

Hadopi en sursis

Hadopi en sursis

À la faveur de l'affaire Megaupload, l'opposition entre droits d'auteur et Internet s'est installée au nombre des sujets de ...

Les arguments des promoteurs d’une contribution créative et d’une licence globale ont été au mieux battus en brèche, au pire ridiculisés. Pas de place pour l’alternative. Après les prises de position de certains députés PS à l’assemblée nationale autour de la loi Hadopi, le secteur culturel avait pris ses distances avec l’appareil socialiste. Mais la campagne a été l’occasion de tenter de mettre fin à ce début de divorce. Lobbyistes, directeurs de société de gestion de droits, entrepreneurs culturels, ayants-droit et autres “influents” se sont ainsi rapprochés de Fleur Pellerin. Bien qu’en charge de la culture, Aurélie Filippetti était sans doute trop marquée par sa porosité aux arguments des tenants de la fameuse “légalisation des échanges hors marché”.

Changement

Cette fois, c’est sûr : la licence globale et l’un de ses corollaires, la légalisation des échanges hors marchands, est définitivement enterrée. Voulu par François Hollande, “l’acte 2 de l’exception culturelle française” verra les mêmes acteurs se réunir au cours de multiples tables rondes. Avec à l’agenda des sujets allant de la gestion collective des droits à la rémunération pour copie privée en passant par la nécessaire réforme de la chronologie des médias (c’est-à-dire les règles de diffusion dans le temps des oeuvres, cinématographiques notamment, sur différents supports. Voir à ce titre le récent débat organisé par l’Ina). Le tout en luttant contre la contrefaçon, bien entendu.

Et en repensant Hadopi, dont l’avenir, loin d’être incertain, s’éclaircit à nouveau. Comme le disait sa présidente en exergue du dernier rapport d’activité de la haute autorité :

Rendez-vous en juin 2012.


Illustration par l’excellent Christopher Dombres [CC-by]

]]>
http://owni.fr/2012/04/27/la-licence-globalement-morte-au-ps/feed/ 0
Athlètes féminines à grosse bite http://owni.fr/2012/04/23/grosses-bites/ http://owni.fr/2012/04/23/grosses-bites/#comments Mon, 23 Apr 2012 12:20:56 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=106958 "Célébrités à grosse bite" ou "Athlètes féminines à gros seins"... Ce sont les titres vedettes d'un marché lancé par des sous-éditeurs, spécialisés dans le copié collé des contenus gratuits de Wikipedia pour les transformer en livres payants, vendus en nombre sur Amazon, grâce à des titres mi-provoc mi-ridicule.]]>

Des célébrités à grosse bite, comme Jay-Z, Liam Neeson, Colin Farrell, et plein d’autres. Qui n’a jamais rêvé de disposer d’un tel ouvrage dans sa bibliothèque ? C’est aujourd’hui possible, grâce aux efforts conjugués d’une start-up opportuniste et d’Amazon. Avec l’apport involontaire de Wikipédia.

Dans un récent article publié par Gawker, le journaliste Max Read dévoile les subtilités du phénomène. Il s’agit de profiter de la possibilité offerte par Amazon aux États-Unis d’imprimer des livres à la demande (print-on-demand). Et de compiler des articles issus principalement de Wikipédia sous des titres absurdes, mais susceptibles de faire l’objet de requêtes sur les moteurs de recherche. En l’occurrence, il s’agit des biographies de stars soupçonnées de bénéficier d’une nature avantageuse, précédées du long article que l’encyclopédie en ligne, dans sa version anglaise, consacre au pénis.

La couverture de l'un des livres issus du "projet Webster", disponible sur Amazon.

On peut ainsi se trouver nez à nez avec un ouvrage à la couverture étrange intitulé Les juifs névrosés qui deviendront des zombies. Tout un programme. A l’intérieur, on ne lira rien d’autre que des articles de Wikipédia compilés avec malice, et chapitrés. Sur Amazon comme dès les premières pages du livre, il est d’ailleurs bien précisé que le contenu “provient principalement d’articles disponibles sur Wikipédia”.

Interrogé sur la question, Rémi Mathis, président de Wikimédia France -fondation qui fait fonctionner Wikipédia-, nous confie :

Wikimédia France n’a pas de position officielle sur le sujet, puisque la pratique est légale : la licence est généralement respectée. Nous trouvons simplement qu’un tel ouvrage est un peu inutile. Et surtout que l’on perd tout ce qui fait le sel de Wikipédia : les liens hypertextes entre articles, les discussions, l’évolution constante et la mise à jour des articles.

A l’heure où l’on considère qu’une partie de l’avenir de l’édition se joue sur Internet, et où certains prédisent que le livre évoluera en partie en s’adaptant au réseau, ce reverse publishing peut en effet surprendre.

La section Kindle d’Amazon US est pourtant d’ores et déjà assaillie par ce type d’ouvrages, s’appuyant sur l’immensité des contenus libre de droit produits chaque jour par les internautes. Philip Parker, un professeur américain en science du management, a d’ailleurs déjà publié plus de 200 000 “livres” fonctionnant sur ce principe, aidé de quelques développeurs et de pas mal d’ordinateurs.

Couverture de "Les juifs névrosés qui deviendront des zombies." Un autre ouvrage issu du Projet Webster.

Revenons à nos célébrités bien membrées. Derrière le projet se trouve une start-up évoluant dans le milieu de l’édition numérique, BiblioLabs. Parmi plusieurs projets d’édition de contenus, elle a développé le “projet Webster”, dont l’objectif est d’utiliser des “curateurs” humains pour assembler des contenus issus de Wikipédia dans une nouvelle œuvre.

Les livres issus du projet Webster ont des auteurs, payés 5 dollars le livre. Parmi eux, Dana Rasmussen, à qui l’on doit les deux œuvres d’ores et déjà citées, mais aussi plus de 1000 “oeuvres”, parmi lesquelles Bateaux à moteur et athlètes féminines à gros seins, Guide Alphabétique des Groupes Chevelus, volume 5, Célébrités d’Internet et phénomènes comme Justin Bieber ou 2 Girls 1 cup ou encore Cultes de l’Apocalypse, se préparer à l’extase. Des morceaux de bravoure sur des sujets essentiels, vendus en moyenne 17$. Et qui n’apporteront peut-être pas toute la satisfaction escomptée à l’acheteur imprudent.

“On a tendance à reporter la responsabilité sur le lecteur lui-même : tant qu’il est clairement indiqué que le contenu provient de Wikipédia, c’est à l’acheteur de faire attention” , nous dit Rémi Mathis.

Ce n’est pas gagné : ces livres parviennent à faire quelques ventes, même si le contenu est disponible gratuitement ailleurs. Pour expliquer cet acte d’achat, le président de Wikimédia France évoque une autre hypothèse :

Cette affaire révèle aussi la puissance légitimante du papier. Même sur Internet, c’est plus facile de dire : ‘il y a des livres sur le sujet’ que de renvoyer vers des blogs ou des articles en ligne. On peut penser que les gens qui vendent ce genre de produit le prennent en compte.

Ainsi, en jouant sur l’image de sérieux renvoyé par tout ouvrage publié sur du bon vieux papier, les entrepreneurs malins de BiblioLabs induirait en erreur quelques inconséquents. Une pratique qui peut être vue comme le prolongement numérique de procédés ayant cours dans l’édition traditionnelle :

Si ce genre de livre existe, c’est qu’il y a une tradition, dans l’édition, de proposer des livres dont l’intérêt n’est pas toujours évident, y compris dans l’édition scientifique. Lorsque l’on compile plusieurs articles d’un même auteur publiés à différents endroits pour en faire un volume, ce n’est finalement rien de plus que du copié-collé.

En France, il n’est pas encore possible de faire imprimer des ouvrages à la demande via Amazon. En revanche, certains éditeurs proposent des ouvrages issus de Wikipédia. C’est le cas des “Petits bouquins du web“, dont la collection de petits livres à 5 euros existe depuis 2010. Sans s’aventurer, pour le moment, dans des thématiques absurdes.


Illustration et couverture par Ophelia Noor pour Owni /-) Détournement d’image via Betsythedevine/Flickr [CC-byncsa]. La troll face est une création originale de l’artiste Whynne via Deviant Art et adoptée par les interouèbes depuis 2008 #mème
Captures d’écran en CC des sublimes couvertures des livres cités via Amazon/Flickr/Wikipedia (CC).

]]>
http://owni.fr/2012/04/23/grosses-bites/feed/ 9
God Save the net http://owni.fr/2012/04/05/god-save-the-net/ http://owni.fr/2012/04/05/god-save-the-net/#comments Thu, 05 Apr 2012 07:33:42 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=104594 "V pour Vendetta" projeté dans la réalité. Avec un peu d'avance sur certaines réflexions sécuritaires françaises, une partie du gouvernement britannique conçoit actuellement un dispositif législatif permettant une surveillance globale et systématique d'Internet. Au nom de la lutte contre le terrorisme, en général. Parce que la terreur est partout, Sir. ]]>

La surveillance généralisée et le contrôle accru des réseaux de communication. Des thématiques décidément à la mode. Dernier avatar de cette tendance en France :  l’annonce par le président-candidat Nicolas Sarkozy de la création d’un délit de consultation des sites faisant l’apologie du terrorisme.

Au Royaume-Uni, les autorités ont poussé le bouchon sécuritaire un peu plus loin. Selon une représentante du ministère de l’Intérieur (Home Office), un nouveau projet de loi est dans les tuyaux. Citée par le Guardian , elle affirme qu’il aura pour objet de lutter plus efficacement contre “les crimes graves et le terrorisme”.

Le mot ici aussi est lâché. Des deux côtés de la Manche, c’est donc la crainte des vilains terroristes qui pousse à une surveillance généralisée du réseau. Et des activités de l’ensemble de ses utilisateurs.

Surveillance généralisée

Les informations qui ont filtré sont pour le moins fragmentaires. Chez Big Brother Watch, association britannique de défense des libertés, Emma Carr, directrice adjointe, nous précise : “Des réunions secrètes ont eu lieu avec des députés ou des représentants de l’industrie”. Avec pour objectif de préparer un projet de loi, qui devrait être présenté lors du discours de la reine le 9 mai. Tradition toute britannique, ce discours fixe en effet les orientations législatives du royaume pour l’année à venir.

L’idée est de mettre en pratique le rêve de toute agence de renseignement qui se respecte : un dispositif de surveillance généralisée et permanente de l’ensemble des communications électroniques et téléphoniques d’une population. Selon Emma Carr, les choses sont plutôt claires: ” ce sont les membres du GCHQ qui sont à la manœuvre”.

Le Government Communications Headquarters (GCHQ), l’une des trois agences de renseignement britannique, spécialisée elle dans la surveillance électronique. Et à ce titre le plus grand service occidental d’interception des communications, derrière la NSA (les “grandes oreilles” américaines). Son slogan, “Maintenir notre société sûre à l’ère d’Internet”, est digne d’un Minority Report , dans lequel l’auteur de science-fiction Philip K. Dick imagine une police omniprésente, qui arrête les criminels avant même qu’ils aient eu l’idée de commettre leur méfait.

Deep Packet Inspection

Si nous n’en sommes pas encore à la prévision des crimes par des humains mutants en état de stase, le gouvernement souhaite se doter d’un système permettant d’accéder à l’ensemble des “données de communication”. Et ce en se passant de l’autorisation d’un juge.

Selon les explications des représentants du gouvernement, le système reposerait essentiellement sur les intermédiaires techniques (fournisseurs d’accès à Internet, opérateurs téléphoniques, hébergeurs). Et permettrait aux renseignements d’avoir accès en temps réel à une sorte de registre de communications de l’ensemble des citoyens de sa majesté. Chat, SMS, mails, appels téléphoniques, tout y serait consigné, ainsi que leurs horaires, fréquences, durées. Pour le contenu des échanges en revanche, une utilisation préalable resterait nécessaire.

En l’état du droit britannique, comme dans la majeure partie des démocraties occidentales, de telles données ne sont accessibles que dans le cadre d’une enquête, et après autorisation du juge. Les derniers chiffres disponibles [PDF] font état de 525,130 demandes en 2009, provenant de multiples autorités dépendant de près ou de loin du gouvernement, dans le cadre du Regulation of Investigatory Powers Act 2000 (RIPA).

Pour les spécialistes du réseau, cette surveillance généralisée d’Internet devrait passer par une technique déjà connus : le Deep Packet Inspection (DPI). Le même type de technologie que celle vendue par la société Amesys à la Libye du colonel Kadhafi.

L’agenda des services

Isabelle Sankey, du lobby de défense des libertés publiques Liberty, voit clairement dans ce projet de loi l’œuvre des services de renseignement :

Quel que soit le gouvernement, les grandes ambitions d’espionnage des agences de renseignement ne changent pas.

Chez Big Brother Watch, Emma Carr pointe également l’opportunisme politique de certains membres du gouvernement : “Les libéraux-démocrates [NDLR: dont le leader, Nick Clegg, est aujourd'hui Vice-Premier ministre] avaient férocement combattu un projet similaire en 2009. Je me demande comment ils vont se positionner au Parlement”.

En 2009 déjà, un projet de loi similaire avait été en effet débattu au Parlement. Introduit par le gouvernement travailliste, il avait été ajourné après une importante mobilisation au sein de la société civile. Des membres du parti de Nick Clegg manifestent d’ores et déjà leur opposition et ont obtenu du Vice-Premier ministre la tenue d’auditions publiques au Parlement. Au cours de son discours d’investiture, le leader des libéraux-démocrates disait d’ailleurs vouloir “enterrer la société de surveillance”.

Les associations de défense des libertés et certains acteurs d’Internet se mobilisent également pour son ajournement. Ces derniers pointent d’ailleurs les difficultés et le coût de la mise en place d’un système de surveillance généralisé. Et les conséquences que cela pourrait entraîner, comme la massification de techniques de contournement. Et Emma Carr de conclure :

L’idée est de faire comprendre qu’un tel projet de loi est tout simplement inacceptable dans une société démocratique.


Photos sous licences creative commons par Dr John 500, Jt Blackwell

Édition photo par Ophelia Noor pour Owni /-)

]]>
http://owni.fr/2012/04/05/god-save-the-net/feed/ 14
Hadopi en pire http://owni.fr/2012/03/15/alpa-besoin-hadopi/ http://owni.fr/2012/03/15/alpa-besoin-hadopi/#comments Thu, 15 Mar 2012 01:33:50 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=102030

C’est l’un des principaux enjeux de l’après présidentielle pour les acteurs du numérique : l’avenir de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi).

Hollande entreprend la culture

Hollande entreprend la culture

Le flou de l'après Hadopi, c'est du passé. Dans une tribune qui paraît dans Le Monde, le candidat socialiste ...

Abrogation, remplacement, adaptation, ou simple abandon de son action répressive, les propositions ne manquent pas. Certains vont même plus loin, et réfléchissent à la mise en place d’une forme de licence globale qui, par définition, entraînerait la reconnaissance des échanges non marchands. Une adaptation du droit d’auteur à l’ère numérique dont le PS semble avoir récemment rejeté l’idée.

Soutenue et encouragée par Nicolas Sarkozy, l’Hadopi semble pourtant un peu éloignée des préoccupations du président-candidat. Particulièrement depuis la fermeture du site MegaUpload. Même si il continue à défendre sa création dans une interview au Point à paraître aujourd’hui, il explique :“Rien ne ferait obstacle à ce que les autorités françaises lancent une telle opération sur la base du délit de contrefaçon”. Un délit qui figure dans ce bon vieux code de la propriété intellectuelle, créé en 1992. Et qui est utilisé aujourd’hui tant pour fermer des plateformes comme MegaUpload que pour punir les internautes partageant illégalement des oeuvres sur Internet.

Cette dernière mission étant pourtant confiée…  à Hadopi. À l’origine, l’écosystème Hadopi a en effet été présenté comme une alternative aux peines sanctionnant la contrefaçon, qui vont jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende. Un mécanisme jugé excessif pour Internet, auquel on a voulu substituer une approche répressive progressive : la fameuse “réponse graduée”.  Un processus qui n’a pas encore été mené à son terme, et dont on peut interroger la pertinence. Puisqu’en parallèle, le vieux système continue de tourner, alimenté par l’action des ayants droit.

Hors d’Hadopi, point de salut ?

Sur ce point, la communication d’Hadopi est bien rodée. Depuis quelques mois, la Haute autorité craint pour son avenir. Et essaye pour s’en assurer un de se positionner comme protectrice d’Internet et des internautes. Adieu réponse graduée, l’administration préfère mettre en avant son rôle “pédagogique”.

Le trac électoral de l’Hadopi

Le trac électoral de l’Hadopi

2012 se fera avec la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), c'est ...

Après la promotion des “labs”, ces “ateliers collaboratifs” constitués d’experts et qui s’emparent de sujets allant du streaming au filtrage du réseau en passant par la photographie à l’ère numérique, un nouvel argumentaire est apparu.

Certains le reprennent, mettant en avant la responsabilisation des internautes et les “sanctions pédagogiques” mises en oeuvre par l’Hadopi. Subitement devenue meilleure amie des pirates. Dont la méthode présentée comme douce les préserverait d’une justice expéditive, aveugle et sans pitié. Malheur, donc, si elle venait à disparaître ! Problème : les délits pour contrefaçon sont toujours d’actualité. Les cas d’internautes contrevenants continuent à défiler devant le parquet, sous l’action des ayants droit. En clair : Hadopi a au mieux atténué l’ancien système, au pire n’a rien changé.

Répression à plusieurs vitesses

Plusieurs individus ont ainsi été condamnés ces dernières années, en France, à des peines de prison pour avoir mis à disposition des œuvres culturelles protégées sur le réseau. Derrière ces condamnations, on retrouve des représentants des ayants droit, regroupés en sociétés et associations aux initiales cryptiques : SACEM, SCPP, SDRM, SPPF ou encore ALPA.

Toutes agissent donc dans le cadre de l’ article L335-4 du code de la propriété intellectuelle, qui prévoit que “toute fixation reproduction, communication ou mise à disposition du public” d’une œuvre protégée sans l’accord des ayants droit est passible de trois ans de prison et de 300.000 euros d’amende.

L’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), financée par l’industrie du cinéma et présidée par Nicolas Seydoux, le patron de Gaumont, est particulièrement active dans ce domaine.

Son délégué général, Frédéric Delacroix, nous le confirme :

Nous transmettons aux procureurs en moyenne un dossier par jour.

Largement documentée par nos confrères de PCInpact, la mise en place d’un système à deux vitesses apparaît clairement dans les délibérations de la Commission nationale informatique et libertés(Cnil) concernant l’association de lutte contre la piraterie.

Le principe est simple: l’entreprise Trident Media Guard (TMG) surveille les échanges sur les réseaux peer-to-peer. Sur les adresses IP repérées, soit les agents assermentés de l’Alpa saisissent l’ Hadopi sous forme de procès-verbal, soit ils transmettent le dossier directement aux autorités judiciaires. Une mesure censée concerner les individus mettant à disposition un grand nombre d’oeuvres, ou coupables d’ “une première mise à disposition d’un fichier illicite correspondant à une œuvre de référence…”. D’autres seuils entrent ensuite en considération pour savoir si un individu sera poursuivi au civil, risquant de simples dommages et intérêts, ou au pénal. Si tel est le cas, l’internaute risquera jusqu’à 3 ans de prison et 300 000 € d’amende.

En résumé, à l’Hadopi le menu fretin, et aux ayants droit les gros poissons, en direct. Pourtant, récemment, un quadragénaire bordelais a été convoqué devant le tribunal correctionnel pour avoir partagé 18 films sur eMule, sur une journée. Un chiffre qui apparaît bien peu élevé.

Même si, tient à nous préciser Frédéric Delacroix “l’ALPA n’este pas en justice”.  On murmure à la Haute autorité que “les ayants droit ont tous les moyens pour faire du massif”.  Dans ce cas, l’intérêt de préserver sa mission répressive est tout relatif. Hadopi ou pas, les internautes partageant des fichiers protégés par le droit d’auteur resteront sur la sellette. Ces condamnations pour contrefaçon pourraient avoir valeur d’exemple, même si Frédéric Delacroix précise :

“On ne médiatise pas ces affaires. Il s’agit de personnes qui font commerce d’oeuvres protégées, ou qui participent à l’essaimage massif de biens culturels”. Avant de poursuivre: “il s’agit d’écrêter le partage massif”. Pour le délégué général de l’association, l’Hadopi tient parfaitement son rôle “pédagogique” :

Hadopi ce n’est pas la partie répressive. Il s’agit de faire changer les comportements des gens, pas d’aller les poursuivre

L’éventuelle suppression d’Hadopi, ou de sa Commission de protection des droits, chargée de l’envoi des courriers recommandés, entraînerait donc un retour à l’existant. C’est à dire, pour Cédric Manara, professeur de droit à l’EDHEC, “une stratégie d’asphyxie menée par les ayants droit” qui “vise à faire des exemples”.


illustrations par Christopher Dombres pour Owni /-)

]]>
http://owni.fr/2012/03/15/alpa-besoin-hadopi/feed/ 8
Un Acta de guerre http://owni.fr/2012/02/11/un-acta-de-guerre-infographie/ http://owni.fr/2012/02/11/un-acta-de-guerre-infographie/#comments Sat, 11 Feb 2012 10:52:53 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=98064

Acta. Ces quatre lettres s’affichent depuis quelques semaines comme le symbole des velléités de renforcement de la propriété intellectuelle à l’échelle mondiale. Cela fait pourtant plus de trois ans que le traité est négocié dans le plus grand secret. L’ Anti-Counterfeiting Trade Agreement (Acta) assimile l’échange d’œuvres culturelles sur Internet à de la contrefaçon. Et a pour objectif de renforcer considérablement l’arsenal juridique existant.

Acta mobilise

Vision maximaliste du droit d’auteur, volonté des pays industrialisés de sécuriser un monopole historique, réaction aux évolutions des usages sur Internet, lobbying intensif des industries culturelles, mise en place de mesures liberticides: les questions posées par le traité ont accentué la mobilisation.

Propriété intellectuelle mutante

Propriété intellectuelle mutante

Restées dans l'ombre, les négociations de l'Acta couvrant tous les domaines de la propriété intellectuelle de la santé ...

Des manifestations ont lieu aujourd’hui dans toute l’Europe et dans plusieurs villes de France. Des défilés pour faire pression sur les gouvernements, dont certains commencent à s’exprimer contre Acta. Hier, c’est l’Allemagne, qui par l’intermédiaire de sa ministre de la Justice, a exprimé des réserves sur le traité. Le pays rejoint ainsi la Pologne, le République Tchèque, la Slovaquie et la Lettonie qui ont tous suspendu la ratification du traité.

En France, l’amplification de la mobilisation suscite quelques réactions du côté des partis en campagne pour 2012. Europe Écologie Les Verts appelle à manifester, tandis que Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin, chargées respectivement des pôles culture et économie numérique dans l’équipe de campagne de François Hollande, ont publié un communiqué commun appelant au “refus de la ratification [d'Acta] par le Parlement européen”.

La mécanique du Parlement européen

Le Parlement européen, ultime rempart au traité Acta ? C’est en tout cas au sein de cette assemblée peu médiatisée que se déroule le processus pouvant mener à la ratification du traité. Car si chacun des États membres peut en suspendre la ratification, l’Union européenne doit attendre l’avis du Parlement avant d’y apposer sa signature.

Une tyrannie du droit d’auteur nommée ACTA

Une tyrannie du droit d’auteur nommée ACTA

Un traité commercial, Acta, propose d'entériner la vision du droit d'auteur des industries culturelles à l'échelle ...

Les débats risquent d’être animés, tant on trouve de nombreux opposants au traité mobilisés depuis longtemps parmi les députés européens : Sandrine Bélier, Catherine Trautmann, Marietje Schaake ou le rapporteur récemment démissionnaire, Kader Arif, pour ne citer qu’eux.

Le groupe majoritaire, le Parti Populaire Européen, considère quant à lui Acta comme un “bouclier protecteur pour l’industrie européenne”.

Le vote du Parlement européen sur Acta interviendra entre juin et septembre. D’ici là, un processus complexe est enclenché, fait de multiples rapports, échanges de vues, débats, amendements et votes. Dans lequel de commissions parlementaires sont impliquées. OWNI, en partenariat avec la Quadrature du Net, a essayé d’y voir plus clair.

Résumé en une infographie.


Création infographie : Félix Tréguer, Guillaume Ledit (éditorial) et Loguy (design)

]]>
http://owni.fr/2012/02/11/un-acta-de-guerre-infographie/feed/ 20
“Il y a là un problème, Acta va trop loin” http://owni.fr/2012/01/28/acta-va-trop-loin/ http://owni.fr/2012/01/28/acta-va-trop-loin/#comments Sat, 28 Jan 2012 15:39:22 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=95851

Acta, pour Anti-counterfeiting trade agreement . Depuis quelques années, l’ombre de ce projet d’accord commercial plane sur la réglementation internationale de la propriété intellectuelle. Touchant tant la santé que la culture, et menaçant au passage certaines libertés publiques, les négociations entourant ce texte ont longtemps été frappées du sceau du secret.

Propriété intellectuelle mutante

Propriété intellectuelle mutante

Restées dans l'ombre, les négociations de l'Acta couvrant tous les domaines de la propriété intellectuelle de la santé ...

Ce n’est plus le cas. Ce jeudi, 22 pays de l’Union européenne, dont la France, ont signé le traité. Une signature qui ne vaut pas adoption, mais qui intervient dans une séquence de crispation intense des positions entre défenseurs d’un Internet libre et lobbys des industries culturelles. La mobilisation des acteurs d’Internet contre les lois Pipa et Sopa ou l’affaire Megaupload ont mis sur le devant de la scène médiatique ces enjeux.

C’est au tour d’Acta, qui prévoit entre autres une collaboration accrue entre fournisseurs d’accès et ayant droits afin de renforcer la protection du droit d’auteur, de focaliser l’attention. Aujourd’hui, à l’appel, entre autres, des Anonymous, plusieurs manifestations se déroulent en France. Ultime rempart à l’adoption du traité, son passage devant le Parlement européen, devrait avoir lieu entre juin et septembre 2012. Rapporteur du projet, le socialiste Kader Arif, a démissionné dans les minutes ayant suivi l’annonce de l’adoption, dénonçant une “mascarade“. L’occasion de revenir avec lui sur ce que représenterait la mise en oeuvre d’un tel traité.

Sopa et Pipa aux États-Unis, Acta au Parlement Européen : pensez-vous que ces lois participent d’un même mouvement ?

Avec l’augmentation de la concurrence internationale, notamment au niveau commercial, les questions de propriété intellectuelle font l’objet d’une attention croissante des gouvernements et d’une pression accrue de l’industrie qui souhaite voir les brevets toujours mieux protégés. Mais cette évolution se fait au détriment d’un équilibre déjà fragile entre la protection certes légitime des ayants droits, mais la protection tout aussi nécessaire des libertés publiques. En ce sens il y a une réelle évolution au niveau international qui appelle à la plus grande vigilance des législateurs, qui doivent préserver cet équilibre.

Je ne donnerai qu’un exemple pour illustrer ce risque croissant auquel nous faisons face : Acta prévoit des sanctions pénales pour lutter contre les personnes souhaitant tirer un bénéfice commercial d’une contrefaçon. Cela peut avoir du sens pour la vente de faux sacs ou chaussures, mais qu’en est-il des données téléchargées sur internet ? Si un Etat considère qu’il est possible de tirer un bénéfice commercial d’une seule chanson téléchargée illégalement, alors un citoyen pourra être arrêté à la frontière, se faire fouiller ses effets personnels et subir des sanctions pénales, tout simplement parce qu’Acta ne fait pas de différence entre un citoyen lambda qui a téléchargé une chanson pour son usage personnel et une personne souhaitant organiser une activité lucrative basée sur de la contrefaçon à grande échelle. Pour moi il y a là un problème d’équilibre entre protection des ayants droits et protection des citoyens, Acta va trop loin.

Si Acta n’est pas la réponse, quels seraient les moyens d’assurer un bon écosystème pour la propriété intellectuelle à l’heure d’Internet ?

Les protections sont déjà nombreuses, et le problème d’ACTA tient beaucoup au fait qu’il va bien au-delà des accords existants : il remet en cause les acquis de l’accord ADPIC à l’OMC, met en danger l’acquis communautaire, introduit une confusion dangereuse entre lutte contre la contrefaçon et lutte contre la violation de la propriété intellectuelle en général, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Si l’Europe souhaitait réellement s’attaquer au problème de la contrefaçon, elle le prendrait à la source et négocierait un accord avec la Chine notamment, or la Chine n’est pas signataire de l’Acta. Toute mesure qui laisse cela de côté ne peut prétendre apporter une solution réelle au problème de la contrefaçon. De même, l’une des priorités pour l’Europe est la protection accrue de nos indications géographiques, des AOC pour la France. Or là aussi Acta n’apporte presque pas de réponse, même dans les pays signataires de l’accord.

Le traité Acta est-il conforme à l’acquis communautaire ?
Une tyrannie du droit d’auteur nommée ACTA

Une tyrannie du droit d’auteur nommée ACTA

Un traité commercial, Acta, propose d'entériner la vision du droit d'auteur des industries culturelles à l'échelle ...

Sur cette question, on a pu observer un véritable tour de passe-passe notamment des services juridiques des institutions européennes. En effet, alors que plusieurs experts internationaux considèrent, arguments solides à l’appui, qu’Acta n’est pas conforme à l’acquis communautaire, notamment sur la question de la non-responsabilité des fournisseurs d’accès à internet, l’argument mis en avant est qu’un accord international n’a pas à être conforme à l’acquis communautaire pour être valable, mais qu’il doit simplement être conforme aux traités européens !

Il n’y a rien de suffisamment précis dans les traités européens pour marquer une incompatibilité avec Acta, mais cela permet d’éluder la question de la conformité avec l’acquis, qui est une question cruciale. S’il s’avère qu’Acta n’est pas conforme à l’acquis, cela signifie que plusieurs directives européennes devront être modifiées, mais aujourd’hui personne ne se risque à faire une évaluation en détail des modifications nécessaires. Et tant qu’un citoyen n’aura pas amené ce problème devant la Cour de justice européenne, ce qui peut prendre des années, le flou restera total quant à cette question essentielle.

Vous faites partie de l’équipe de campagne de François Hollande. Pensez-vous que votre candidat va se positionner sur la question de l’adoption d’Acta ?

François Hollande s’est déjà clairement positionné sur Hadopi, puisqu’il remplacera cette loi par une grande loi signant l’acte deux de l’exception culturelle française, qui conciliera la défense des droits des créateurs et un accès aux oeuvres par Internet facilité et sécurisé. Rétablir cet équilibre entre ayants droits et intérêt des citoyens est en effet essentiel, et seule une remise en cause d’Hadopi peut permettre d’y parvenir.

Concernant Acta, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a déjà donné son aval pour que la Commission européenne signe l’accord au nom de l’Union européenne, et cette signature a eu lieu jeudi. La prochaine occasion pour la France de se prononcer sur cet accord sera donc lorsque l’Assemblée nationale sera saisie pour ratifier le texte, si le Parlement européen ne l’a pas rejeté avant…

En quoi Acta constitue une “mascarade” ?

La mascarade tient essentiellement au manque de transparence, on laisse croire aux citoyens que leurs inquiétudes sont prises en compte parce que le Parlement européen devra ratifier le texte, mais la réalité c’est qu’on ne peut plus changer une seule ligne à cet accord, quoi qu’on en dise. C’est un oui ou un non, brutal, qui ne répond absolument pas aux résolutions déjà adoptées par le Parlement et qui demandaient précisément des modifications de l’accord, tant que les négociations étaient encore en cours, sur les sujets que j’ai déjà mentionnés : le respect des libertés civiles, de la neutralité d’Internet, la non responsabilité des FAI, la protection des médicaments génériques, etc.

De surcroît, les manoeuvres de la droite ont permis d’imposer un calendrier extrêmement serré pour la ratification de ce texte, ce calendrier ne laisse pas le temps pour l’adoption de résolutions ou d’un rapport intérimaire, qui sont des instruments dont dispose normalement le Parlement européen pour exprimer ses revendications autrement que par un simple oui ou non. Priver ainsi les députés des outils dont ils disposent pour mener correctement leur travail, ce n’est tout simplement pas acceptable.

Que pensez-vous des actions des Anonymous, qui manifestent actuellement leur mécontentement face au traité ?

Face à un sujet aussi complexe, technique et qui manque de visibilité dans le débat public, toutes les mobilisations citoyennes sont utiles car elles permettent d’alerter les députés européens sur les conséquences d’un accord qui à première vue peut sembler utile, puisqu’il s’attaque à ce problème réel qui est celui de la contrefaçon. Même si leurs méthodes peuvent être constestables, leur participation au débat public reste salutaire.


CC pour OWNI par Loguy

]]>
http://owni.fr/2012/01/28/acta-va-trop-loin/feed/ 0
Blackout sur l’Internet américain http://owni.fr/2012/01/18/black-out-sopa-pipa-wikipedia-internet-americain/ http://owni.fr/2012/01/18/black-out-sopa-pipa-wikipedia-internet-americain/#comments Wed, 18 Jan 2012 08:04:08 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=94344
L’empire Hollywood attaque Internet

L’empire Hollywood attaque Internet

Aux États-Unis, les lobbyistes des industries culturelles soutiennent plusieurs projets de loi pour renforcer les moyens de ...

Cette fois, la guerre est déclarée. Aux États-Unis, les lobbyistes d’Hollywood font pression pour l’adoption de réformes législatives prévoyant le filtrage et le blocage systématiques des sites soupçonnés d’encourager le piratage d’œuvres protégées. Stop Online Piracy Act (Sopa) à la Chambre des représentants, et Protect IP Act (Pipa) du côté du Sénat, les deux projets de lois ont pour objectif de renforcer (encore) les mesures de protection du copyright. Notamment en faisant disparaître de la toile, purement et simplement, les sites incriminés. Du côté des défenseurs des libertés sur Internet et des grandes entreprises du web, la résistance s’est organisée.

Blackout sur le web américain

Déterminés à faire entendre leur point de vue sur ces lois qu’ils considèrent liberticides, de nombreux sites ont lancé un appel au “blackout d’Internet”. Sous le nom de code “Sopa Blackout Day“, certains sites se rendent volontairement inaccessibles ce mercredi 18 janvier. Ou afficheront en lieu et place de leur page d’accueil un message expliquant pourquoi les lois Sopa et Pipa menacent Internet. Une façon de protester qui n’a pas les faveurs du patron de Twitter, Dick Costolo, qui considère le mode d’action “stupide”et “incongru”.

Après l’agrégateur Reddit, le site d’informations Boing Boing, le moteur de blogs Wordpress, et le réseau Cheezburger, qui fait son beurre sur le dos du LOL et des chats, Wikipedia a rejoint le mouvement.

Jimmy Wales, le fondateur de l’encyclopédie en ligne, a prévenu les étudiants sur Twitter :

Étudiants, attention ! Faites vos devoirs en avance. Wikipedia proteste contre une mauvaise loi mercredi! #sopa

La version anglaise du sixième site le plus consulté au monde sera inaccessible ce mercredi. L’occasion de donner un écho international à cette lutte jusqu’alors cantonnée au réseau.

Sopa mal en point, Pipa prend le relais

L’acte d’accusation contre un Internet libre

L’acte d’accusation contre un Internet libre

Acta dans l'Union européenne et Sopa aux États-Unis. Ces deux textes, en cours d'adoption, autorisent l'administration et ...

Le combat que livre la Silicon Valley à Hollywood n’est pour autant pas terminé. Le système législatif américain a cela de pratique qu’il permet d’introduire deux lois similaires dans chaque assemblée. Si l’adoption du projet de loi Sopa est remise en question, Pipa sera à l’ordre du jour des sénateurs dès le 24 janvier.

Côté Chambre des représentants, les députés américains semblent reculer sous la pression de la contestation, organisée notamment par les “geeks”. Sur le site de la Maison Blanche, une pétition en ligne réclamant un veto présidentiel à l’encontre de Sopa a recueilli plus de 50 000 signatures. L’administration Obama s’est prononcée contre un filtrage du réseau pour lutter contre le piratage :

Bien que nous pensons que le piratage en ligne [...] est un problème sérieux, qui nécessite une réponse législative forte, nous n’accorderons pas notre soutien à une loi qui réduirait la liberté d’expression, augmenterait les risques en terme de cybersécurité et entamerait un Internet mondial, innovant et dynamique.

Il semble que les experts de la Maison Blanche ont entendu les craintes des spécialistes du réseau, qui redoutaient notamment que le filtrage DNS n’atteigne l’architecture d’Internet.

Pour autant, la mobilisation reste de mise. Officiellement, Sopa n’est pas encore jetée aux oubliettes, et le Protect IP Act est quant à lui loin d’être enterré.

[MAJ 9h06]

Google a mis en ligne une infographie appelant à se mobiliser contre Sopa. Son directeur des affaires juridiques, David Drummond, explique dans un article de blog que Pipa et Sopa constituent une censure du web qui risquent de nuire au business.


Illustrations CC Ophelia Noor pour Owni.fr

]]>
http://owni.fr/2012/01/18/black-out-sopa-pipa-wikipedia-internet-americain/feed/ 24