MegaUpload à la chaise électrique

Le FBI a ordonné la fermeture de MegaUpload, un réseau de sites longtemps présenté comme l'un des principaux vecteurs du piratage de films et de titres musicaux. En France l'initiative a été saluée par Nicolas Sarkozy. Sur Internet, la guerre est déclarée. Les Anonymous n'ont pas tardé avant d'attaquer les sites institutionnels un par un.

Ça sentait déjà le roussi. En ordonnant la fermeture de MegaUpload, les États-Unis ont embrasé Internet. Le site, une plate-forme d’échange de fichiers massivement consultée à travers le monde, représentait à lui seul 4 % du trafic mondial. Autant dire que la coupure a fait l’effet d’une bombe : pour beaucoup, la guerre du net est déclarée.

Le Département de la Justice américain accuse MegaUpload d’avoir mené une “entreprise de crime organisé, prétendument responsable de piratage en ligne massif et à l’échelle mondiale, à travers Megauplaoad.com et plusieurs sites apparentés, générant plus de 175 millions de dollars de profits criminels et privant ainsi les ayants droit de plus de 500 millions de dollars”.

Dans le secret de MegaUpload

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Comptes offshore, sociétés à Hong Kong ou à Auckland, porte-parole mystère et pactole considérable dans des paradis ...

L’acte d’accusation de 72 pages (ci-dessous) vise sept membres de la galaxie MegaUpload, désignée comme ”Megaconspiracy”. Quatre d’entre eux ont été arrêtés dont le sulfureux fondateur du site, l’allemand Kim Schmitz aka Kim Tim Jim Vestor aka Kim Dotcom, dont nous avions décrit le juteux commerce publicitaire, abrité dans des paradis fiscaux et reposant sur ses sites de partage de fichiers. Ses compatriotes Finn Batato (directeur marketing), Mathias Ortmann (cofondateur et directeur technique) et le hollandais Bam van der Kolk (programmeur) sont également sous les verrous. Le slovaque Julius Bencko (graphiste), Sven Echternach (directeur commercial) et Andrus Nomm (programmeur) restent à cette heure toujours dans la nature. Ils risquent 20 ans de prison.

Anonymous à la manœuvre

Le FBI, en collaboration avec la Nouvelle-Zélande, Hong-Kong, les Pays-Bas, le Canada, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les Philippines, a piloté l’opération. Selon le Wall Street Journal, les agents fédéraux se défendent d’avoir ordonné la fermeture de Megaupload en réaction “au blackout” organisée la veille sur Internet, pour contrer deux projets de lois américains qui prévoient un arsenal juridique renforcé pour lutter contre le piratage, Sopa et Pipa. Les arrestations auraient été menées plus tôt dans la semaine, sous les conseils des autorités néo-zélandaises, rapporte encore le quotidien américain. Une explication crédible au regard des délais de procédure pour mettre en œuvre une telle opération judiciaire aux États-Unis.

Blackout sur l’Internet américain

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Pour protester contre une loi anti piratage, des sites américains, dont Wikipédia, sont aujourd'hui inaccessibles. Un ...

Megaupload coupé, la réaction ne s’est pas faite attendre. Un à un, les sites des lobbies des industries culturelles ont été rendus inaccessibles, tombés sous le coup des attaques dites “de déni de service” (DDOS). Recording Industry Association of America, qui représente les intérêts de l’industrie du disque, Motion Picture Association of America, pour ceux de l’industrie du cinéma, Universal Music, Vivendi, Warner ou même la Hadopi, en France : tout le monde y est passé, dans un même mouvement jubilatoire et désordonné.

Les sites du FBI, de la Maison blanche et celui du Département de la Justice, n’ont pas été épargnés. Il était toujours impossible de s’y connecter dans la nuit de jeudi à vendredi. Sur Twitter, l’équivalent de la Chancellerie réagissait :

Le Département agit pour s’assurer que le site soit disponible pendant que nous recherchons l’origine de cette activité considérée comme un acte malveillant.

Les Anonymous ont rapidement revendiqué ces attaques sous le nom de code “#opmegaupload”. Dans la nuit, le collectif protéiforme a publié un communiqué dans lequel on peut lire :

Nous lançons notre attaque la plus importante contre le gouvernement et les sites de l’industrie de la musique. Lulz. Le FBI n’a pas pensé qu’il pouvait s’en tirer comme ça, non ? Ils auraient dû s’y attendre.

Dans l’actuel climat de tensions extrêmes entre tenants d’un Internet libre et représentants des industries du copyright, la fermeture d’un site comme MegaUpload cristallise les positions des uns et des autres. Et provoque un afflux de réactions.

Sur Facebook, les commentaires pleuvent sous le dernier message posté sur la page officielle du FBI – sans que ce dernier ne soit relié à l’affaire. “Free Megaupload !” peut-on lire dans les dizaines de milliers de réactions. Même déferlante sur Twitter, où l’annonce de la fermeture du site, décidée par le seul gouvernement américain, a été l’information la plus relayée de la soirée.

On relève bien sûr le désarroi des nombreux abonnés Megaupload, qui s’inquiètent de ne pas pouvoir suivre leur série préférée. Plus sérieusement, beaucoup s’inquiètent du modus operandi américain. Tout en critiquant les pratiques illégales et l’organisation mafieuse du site, ils redoutent de voir Internet soumis au bon vouloir du FBI. Les prophéties annonciatrices de “cyberguerre” et “d’infowar” pleuvent comme des oiseaux morts. La fin de Megaupload a tenu tout le monde en haleine.

Sarkozy met Internet au coeur de la campagne

Y compris en France. Outre la mise hors service du site de l’Hadopi, institution en charge d’appliquer la loi en matière de protection des oeuvres sur Internet, l’Élysée s’est fendue d’un communiqué tard dans la nuit, félicitant l’initiative américaine.

La lutte contre les sites de téléchargement direct ou de streaming illégaux, qui fondent leur modèle commercial sur le piratage des oeuvres, constitue une impérieuse nécessité pour la préservation de la diversité culturelle et le renouvellement de la création. C’est le financement des industries culturelles dans leur ensemble qui est mis en cause par ce type d’opérateurs [...].
Le moment est donc venu d’une collaboration judiciaire et policière active entre États pour porter un coup d’arrêt à leur développement.

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Nicolas Sarkozy envisagerait de “compléter” la législation relatif au droit d’auteur sur Internet “par de nouvelles dispositions”, invitant “les ministres concernés ainsi que la Hadopi” à en étudier la possibilité.

La sortie est symbolique. Ces derniers mois, Nicolas Sarkozy a tenté de se racheter une virginité dans son approche de la thématique Internet. Abandonnant l’idée d’un “Internet civilisé”, allant jusqu’à avouer s’être “trompé”, et avoir généré des “crispations”. En particulier sur l’épineuse question de la protection et de la rémunération des oeuvres sur le réseau. Malgré son mea culpa, son positionnement manquait néanmoins de clarté : ses positions simultanées, en faveur d’une Hadopi 3 et d’une lutte plus étroite contre le streaming, étaient venues brouiller les cartes. Prompt à dégainer dans l’affaire MegaUpload, Nicolas Sarkozy semble avoir donné un sens limpide à sa perception du réseau. Et des menaces qu’il incarne, en particulier à l’encontre de la Culture. Tant pis pour l’image geek-friendly. Et tant pis pour Internet.

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